Show me a hero
Le talentueux Mathias Moritz inaugure une “trilogie de l’état urgent” avec la création Du Sang aux lèvres. Une tragédie sur des êtres en crise, bousculant la figure contemporaine du héros.
À la lecture de cette pièce de Riad Gahmi, commandée par Mathias Moritz, nous sommes pris d’un vertige. Celui d’imaginer ce qu’aurait été cette histoire s’il n’avait pas fait, comme il l’affirme, une comédie… Invité par le metteur en scène strasbourgeois à écrire à partir de Coriolan, il explore dans un récit fragmenté – aux trajectoires de personnages enchâssées à la manière d’un Dennis Kelly ou du Babel d’Alejandro González Iñárritu – les ressorts intimes d’hommes dont l’ambition serait de se passer des femmes (et de leur mère), du peuple comme des urnes, et de ne célébrer que leur propre puissance. Bien sûr tout cela ne pourra que finir mal, comme chez Shakespeare. Dans la France d’aujourd’hui où les fous font feu tandis que nos garde-fous n’ont pas fait long feu, un jeune couple un peu paumé se débrouille comme il peut pour survivre avec les allocs, décrocher de la came. L’imprévisible Franck, dont la rage gronde, fasciné par la rigueur japonaise du code des samouraïs et l’honneur à trouver jusque dans la mort, a mis en cloque sa très jeune petite amie, Lou. Peut-être la seule héroïne de l’histoire, « celle qui panse son monde », confie Mathias Moritz. Il vit la même relation trouble, de dépendance affective et de rejet que Coriolan avec sa mère.
Quant à Mylène, l’assistante sociale pleine de préjugés racistes et de misères ordinaires, elle exerce son petit pouvoir à la manière d’un kapo, se réfugiant derrière les règles et la loi. Ce tableau guère reluisant mais non moins véridique des réalités sociales et du chaos des relations humaines à l’œuvre dans notre société bascule avec l’irruption (fantasmée ? rêvée ? déformée ?) de Batman et Henri Ducard, alias Ra’s El Ghul, le grand manipulateur et méchant patenté du Batman Begins de Christopher Nolan. Nous plongeons dans les méandres d’amalgames entre bien et mal, courage jusqu’auboutiste de se fier à ses idéaux ou confiance en l’Humanité. « Franck se construit sa propre mythologie, avec des bouts de ce qui l’entoure pour faire face à la violence qu’il subit : un film qu’il adore, fasciné par La Ligue des ombres voulant laisser s’entretuer les sujets des sociétés décadentes, des vidéos d’exécutions par Daesh, une foi en quelque chose donnant un sens, une rigueur… Tout cela le fait basculer dans une folie meurtrière », affirme celui qui s’attache à ne pas faire de lui « un simple con ou un sale type ». Dans la lignée du travail de sa compagnie, la Dinoponera / Howl Factory, les comédiens, jupes japonisantes noires et torses nus sur un plan incliné entouré de conduits d’aération inachevés, sont mis à rude épreuve par une routine hyper physique les plaçant dans un état d’épuisement lorsque débute la pièce. La suite sera sang et larmes.
Au Théâtre Ici et Là (Mancieulles), mardi 10 et mercredi 11 octobre Au Théâtre de Charleville-Mézières, mardi 17 et mercredi 18 octobre À L’Espace 110 (Illzach), samedi 25 novembre