L’usine à tubes

Photos de Vincent Muller

L’artiste allemand Michael Beutler a transformé le Frac Alsace en Pipeline Field. Visite de l’installation d’un plasticien qui a des tuyaux pour totalement métamorphoser un espace avec du matériau “pauvre”.

Nous pénétrons dans une usine à tubes. Au sens propre : rien à voir avec la Motown dans les sixties, débitant des hits à la minute et faisant de l’ombre aux constructeurs automobiles de Detroit avec des galettes manufacturées par les Temptations ou autres Supremes. Non, il s’agit là d’une vraie chaîne de montage sur laquelle a trimé une quinzaine d’ouvriers (des étudiants recrutés par le Frac). Sous la tutelle du contremaître Beutler, ils ont confectionné des tuyaux sur des machines de fortune, à partir de rouleaux de Tetra Pak®, matière servant à fabriquer des briques de lait ou de jus de fruit.

Déambulant prudemment dans une forêt de hautes formes tubulaires, colonnade soutenant fébrilement un temple de l’Art contemporain converti en véritable atelier, le visiteur observe des vestiges des temps présents : les travailleurs ont quitté leur poste, mais les machines sont toujours là, comme abandonnées en cours d’utilisation. Elles sont faites de bric, de broc, de bouts de bois ou de fil de fer. Certaines réparations DIY au scotch ou pièces agrafées sont visibles, ainsi que des traces de savon, lubrifiant cheap qui a permis de faire tourner poulies et engrenages. On songe à Panaramenko, Vinci contemporain et ses engins artistiques, à Tinguely et ses géniales sculptures animées ou à tous ces Géo Trouvetou de l’art actuel, mais Michael Beutler ne se reconnaît pas forcément en cette famille, mi inventeurs farfelus, mi plasticiens exigeants.

Photos de Vincent Muller

Quel chantier !

Qu’il construise de fragiles murs de papier ou de solides charpentes en bois*, Beutler s’intéresse à créer des sculptures-architectures de manière collective. L’aspect collaboratif prend une place toujours plus grande dans ses projets. À Sélestat, ses “petites mains” ont activé l’outillage de l’artiste une nouvelle fois (après Stockholm ou Bâle) afin de changer un matériau prévu pour d’autres destinées en matière constructible, et structurante. Il utilise un vocabulaire auquel il tord le cou : l’industrie supra-mécanisée prend des allures de jeu de mécano bricolo et les pipelines en Tetra Pak® sont certes confectionnés avec soin, mais laissent place aux inévitables accidents. Les chutes et autres reliquats ne sont pas jetés, ils participent de cette installation ainsi que les lianes d’une forêt amazonienne.

Ni plan préétabli, ni dessins préparatoires : le hasard tient une trop grande place dans ce type d’intervention volontairement artisanale. Comme si le sujet du plasticien avait une vie autonome. L’équipe du Frac s’en amuse : « Convier Michael Beutler et ses machines archaïques, c’est prendre le risque de la surprise. Le curateur Udo Kittelmann a une expression pour décrire sa démarche, évoquant un Freienfluss (courant libre) » à propos d’un artiste interrogeant la place de l’homme dans la jungle, terrible jungle du monde moderne et standardisé.

 

  Au Frac Alsace (Sélestat), jusqu’au 5 novembre

culture-alsace.org

 

*Voir son intervention à l’Arsenal (Venise), dans le cadre de l’exposition collective Viva Arte Viva (jusqu’au 26 novembre) à l’invitation de la commissaire Christine Macel

labiennale.org

 

Photos de Vincent Muller

fragrance des sous-bois

Les Frac du Grand Est font aujourd’hui partie d’une même région et sont conviés à travailler davantage main dans la main. L’exposition Pipeline Field s’inscrit dans le cadre d’un projet tricéphale sur la thématique commune du Travail sous toutes ses formes ! Ainsi, Metz a choisi de se pencher sur les Ressources humaines (focus sur les invisibles de l’impitoyable marché du travail, jusqu’au 5 novembre) tandis que Reims questionne L’Alternative (comment travailler autrement, jusqu’au 17 septembre). Grande nouvelle pour les Frac du Grand Est : ils ont (enfin) un trio de directrices après une longue vacance de poste. Felizitas Diering (coordinatrice de Regionale) en Alsace, Fanny Gonella (directrice artistique de la Künstlerhaus Bremen) en Lorraine et Marie Griffay (commissaire d’expositions indépendante) en Champagne-Ardenne. Pour marquer le coup, celles-ci peuvent s’asperger d’Orée du Jour, parfum de la grande région créé par Julie C. Fortier, plasticienne qui a du nez. Dans des flacons made in Meisenthal, elle a enfermé une senteur aux effluves boisées, résineuses et terreuses, à tester dans les trois Frac.

frac-champagneardenne.org

culture-alsace.org

fraclorraine.org

 

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