Free party
Pour sa première exposition intégralement consacrée à la photographie, la Fondation Beyeler a rassemblé quelque 200 images de la star de l’Art contemporain, Wolfgang Tillmans.
En 2014, le monumental diptyque Ostgut Freischwimmer, left & right était exposé dans une salle du sous-sol de la Fondation Beyeler, entrant en résonance avec des œuvres de Picasso, Ernst ou Monet. Longtemps accrochés dans le Panorama Bar du Berghain, mythique club berlinois, ces luminogrammes abstraits et oniriques de Wolfgang Tillmans (né en 1968) – réalisés sans appareil photo, mais dans le mystère d’une chambre noire – illustrent le glissement qui s’est opéré pour le photographe allemand passé en quelques années de l’underground de la scène acid house des nineties aux espaces immaculés des plus importantes institutions muséales. Cette exposition le manifeste avec éclat, comme celle qui s’est achevée le 11 juin à la Tate Modern ou une autre qui s’ouvrira le 23 septembre à la Kunstverein de Hambourg.
Éparpillement
Dans les salles de la Fondation Beyeler, les œuvres sont dispersées sur les murs, sans ordre apparent, à des hauteurs différentes : les petites photographies voisinent avec d’immenses tirages, certaines sont encadrées avec soin, d’autres simplement punaisées au mur. Des compositions fabriquées et artificielles comme window shaped tree (des arbres pris par une fenêtre pour une image 100% verte obtenue grâce à un filtre rouge utilisé pour un négatif noir et blanc) côtoient des natures mortes ultra réalistes, contemporaines et bluesy, ou des abstractions. Sur les cimaises se joue une chorégraphie visuelle soigneusement mise en scène par l’artiste, manifestant la caractéristique essentielle d’une position plastique que le commissaire de l’exposition Theodora Vischer évoque, parlant de la « dualité de proximité et de distance qui constitue la marque spécifique du regard de Tillmans. Jamais voyeur, jamais complaisant : attentif, ouvert, plein d’amour et de curiosité. » Dans ces constellations visuelles non hiérarchisées, l’œil erre et se perd pour mieux se fixer et découvrir, à la fois, le sens per se de chaque pièce et les interactions souterraines qu’elle entretient avec les autres : ainsi Faltenwurf, shiny, drapé complexe fait d’un entrelacs vert de deux pièces de tissu évoquant une silhouette humaine fantomatique est-il de la même essence que paper drop (green II), autre réflexion sur la représentation des volumes et des pliures. On y voit une feuille de papier photo repliée sur elle-même formant une goutte parfaite, lisse et blanche sur fond blanc, dont l’intérieur vert, seul, manifeste la troisième dimension.
Éclectisme
L’univers visuel de Wolfgang Tillmans est multifocal : qu’il utilise un appareil photo ou non, ses créations sont autant de pièces d’un puzzle dont l’objectif pourrait simplement être une tentative d’appréhension globale du monde. Au fil des salles, se découvrent ses premiers travaux, la série Xerox (agrandissement à 400% d’une photographie grâce au photocopieur) permettant de créer une nouvelle réalité pleine d’imperfections, inaccessible au premier regard et des pièces iconiques, représentant une jeunesse libre. On y voit des enfants du siècle plongés dans la transe de la danse, éminemment vivants, nimbés de joie et de mélancolie mêlées, qui peuplaient les pages du magazine I-D au cours des années 1990. Dans cette galerie de portraits se côtoient clubbers anonymes – comme sans la série Chemistry Squares de 1992 – et stars telles Kate Moss ou Tilda Swinton. Ces images révèlent la dimension implicitement politique de toutes les œuvres du plasticien auteur d’une Anti-Brexit Campaign. Chez lui, les corps sont éperdument libres : nackt, version XXIe siècle de L’Origine du Monde de Courbet en est un beau témoignage. À côté de ses œuvres figuratives comme l’extraordinaire man pissing on chair transgression ludique et punk où Tillmans fait un joyeux bras d’honneur à l’entreprise – son décor, ses codes – s’alignent des pièces abstraites comme Weak signal, écran de télévision immense plein de parasites où se dessine un faible signal. Mais entre abstraction et figuration, entre prise de vue photographique et bidouillage de laboratoire, la frontière se révèle poreuse : l’exposition s’achève avec des clips réalisés et rassemblés par l’artiste qui forment une salutaire réflexion sur le sujet.
> Rencontre avec Wolfgang Tillmans pour un Artist talk, jeudi 7 septembre à 18h30 > Jusqu’au 12 novembre, Tino Sehgal envahit la Fondation Beyeler à travers une exposition rassemblant six “situations construites”, performances présentées dans les salles du musée et dans le parc