De l’or en bouteille

Invité par le caviste Au Millésime, Alexandre de Lur Saluces était en Alsace fin décembre. Après avoir présidé aux destinées d’Yquem de 1968 à 2004, il se consacre désormais à 100% au Château de Fargues, autre joyau du Sauternais. Rencontre avec un mythe.

Il a plus de 80 ans. La voix ferme, le propos qui ne l’est pas moins. Alexandre de Lur Saluces s’inquiète des nuages accumulés sur le Sauternais, évoquant la LGV reliant Bordeaux, Toulouse et Dax qui menace un écosystème et un microclimat permettant l’épanouissement du Botrytis cinerea, la célèbre pourriture noble : « Il s’agit de gagner quelques minutes sur un parcours. On ferait mieux de les perdre. De boire un verre de Sauternes en contemplant les paysages magnifiques que le TGV risque de massacrer ». Au moins aussi grave est une certaine désaffection pour le meilleur vin liquoreux de la planète : « On est en train de détruire beaucoup de choses à notre époque, d’escamoter la culture qu’implique la production de ce vin d’extravagance, unique au monde », assène le comte qui brocarde « l’uniformisation croissante des goûts », tel un Jonathan Nossiter old school.

« Le Sauternes a été caricaturé. Il est banalisé à l’extrême, alors qu’il doit rester un produit d’exception. Pour beaucoup, c’est un vin lourd et sucré. Ces défauts s’appliquent à un mauvais Sauternes ! Un grand Sauternes est aérien. On peut le déguster avec bien d’autres choses qu’un foie gras. Essayez avec le poulet du dimanche par exemple, vous serez surpris », ajoute-t-il. En breuvages de haute volée, il en connaît un rayon, lui qui a dirigé Yquem, un des mythes de la planète vin qui était dans la famille Lur-Saluces depuis le XVIIIe siècle. « Yquem, c’est nos facultés gustatives poussées jusqu’à l’indicible. C’est la suavité absolue, la pleine jouissance », écrivait un Frédéric Dard lyrique, laissant de côté l’argot gouailleur de San Antonio. Reste que les raisons du goût exceptionnel du vin demeurent mystérieuses : « Lorsqu’on me demande “Pourquoi Yquem ?”, ma réponse est toujours la même : je ne sais pas », avoue Alexandre de Lur Saluces qui s’occupe désormais à temps plein du Château de Fargues. Rising star de la galaxie liquoreuse, il s’adresse à de vrais esthètes, non à des « buveurs d’étiquettes. Bien évidemment, le vin est un fait social, mais ils sont nombreux à oublier qu’il n’est pas que cela. À Bordeaux, on a tendance à parler de marque plutôt que de vin, à toujours vouloir faire du nouveau… Des coups marketing, tout simplement », constate un homme de tradition, amoureux de la simplicité : « On peut aussi – on devrait même – boire un verre de Fargues, comme ça, sans rien, avec un ami ». On suivra le conseil…

Photo de Stéphane Louis pour Poly

www.chateaudefargues.com

 

D’Yquem à Fargues est paru chez Gallimard (39 €)

www.gallimard.fr

vous pourriez aussi aimer