Mystères douloureux

Albrecht Bouts, Vierge vénérée par saint Joseph, 1480/85 collection privée, IRPA / KIK, Brussels

Le Musée national d’Histoire et d’Art de Luxembourg propose la première grande exposition dédiée à Albrecht Bouts (vers 1451-55-1549) : Voilà qui promet du sang et des larmes avec des Christs souffrants et des Vierges éplorées.

Le développement de la Devotio moderna – pratique religieuse personnelle et intérieure – au cours du XVe siècle aux Pays-Bas marque une métamorphose du marché de l’art, un passage de la commande individuelle à la production en série d’œuvres destinées à la dévotion privée. Les fidèles prient désormais à la maison, méditant devant des représentations du Christ ou de la Vierge afin de partager leurs souffrances. À Louvain, l’atelier d’Albrecht Bouts, fils d’un des Primitifs flamands parmi les plus célèbres, se spécialise dans les portraits du Christ de douleur. Des modèles originaux peints par Bouts père et fils y sont reproduits grâce à des processus mécaniques comme le poncif, un calque perforé. Si le visiteur découvre ce contexte historique et économique, il se laisse surtout happer par des œuvres originales (et leur déclinaisons adaptées à la clientèle locale : plus de dramatisme en Espagne et une altière retenue dans les pays nordiques) entrant en résonance avec des pièces de la même époque signées Memling ou Marmion, mais aussi avec une vidéo introspective de Bill Viola inspirée de la Pietà de Masolino da Panicale qui clôt le parcours.

À l’origine de cette rétrospective, un diptyque émeut plus particulièrement, pièce majeure qui sera abondamment copiée : deux panneaux de bois forment un couple saisissant où se répondent la souffrance sanguinolente d’un Christ doloriste couronné d’épines aux mains ouvertes et stigmatisées et la peine profonde toute en intériorité d’une Mater dolorosa en prière. Délicat autoportrait en forme de Memento mori, finesse des drapés lumineux d’une Vierge vénérée par Saint-Joseph, expression de contrition rendue avec grâce d’un énigmatique Saint-Jérôme pénitent : le talent d’Albrecht Bouts éclate, sortant le peintre de l’ombre de son célèbre père dans laquelle l’Histoire de l’Art l’avait maintenu pendant de longues années. Illustration avec un Chef de Saint-Jean-Baptiste sur un plat, étonnant tondo en trompe-l’œil où la tête décapitée par Salomé semble flotter dans une mer apaisée d’or, certaine de sa Résurrection.

Au MNHA (Luxembourg), jusqu’au 12 février

 www.mnha.lu

 > La Restauration du diptyque du MNHA : Mater Dolorosa et Christ couronné d’épines, une conférence de Valentine Henderiks et Livia Depuydt (19/01, 18h30)

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