Silence mes anges
À 24 ans, Kaoutar Harchi signe un second roman en forme de tragédie antique. L’Ampleur du saccage, ou comment l’on ne guérit jamais de son enfance.
Entre des cours de littérature et de sociologie dispensés à la Sorbonne et sa thèse sur Kateb Yacine, la jeune Kaoutar Harchi a trouvé le temps d’écrire son second roman. Originaire de l’Elsau, elle avait signé, en 2009, un premier récit futuriste[1. Zone Cinglée, éditions Sarbacane] qui traitait pêle-mêle de l’enfer des banlieues, de l’homosexualité et des difficultés d’être soi entre béton et bitume. Les quartiers populaires délaissés sont une nouvelle fois la toile de fond de son récit. Les deux livres se voient malicieusement réunis par l’évocation de « cette zone cinglée, mon enfance saccagée ». L’environnement urbain est noir. Les liens sociaux misérables. La frustration énorme. L’insatisfaction paroxystique. Le sexe… tarifé.
Sous la plume de Kaoutar, les personnages se définissent par leurs douleurs et leurs interrogations sur l’existence, à l’ombre, toujours, de passés pesants. Implacablement. Arezki, 30 ans, vit reclus, à moitié fou dans sa barre d’immeuble, hanté jusque dans ses rêves par l’image d’une vieille femme au front tatoué qu’il ne connaît pas. Élevé dans le silence coupable d’un Si Larbi qu’il ne comprend pas. Commettant l’irréparable un soir de pluie, Arezki connaîtra l’angoisse de la prison puis la quête de la vérité au cœur même de son Algérie natale. L’Agérie. Lieu de tous les comptes à régler. De toutes les âmes à panser pour chaque personnage : Ryeb, un maton venant au secours d’Arezki, souhaitant déposer les cendres de sa mère au fond d’un puit de ce pays qui lui reste inconnu. Mais aussi Si Larbi, enfermé dans sa haine de soi et des autres, une soif d’amour incommensurable et le malheur d’avoir fauté, terriblement, avec son meilleur ami Riddah, voilà 30 ans. Entre silence et secret, les traumatismes se perpétuent. Cette vieille société algérienne est « en guerre contre le désir » et la liberté, productrice de frustrations pour plusieurs générations. Les questions identitaires, les poids du passé et du secret, leur violence, l’exil et la prostitution jalonnant le récit ne sont pas sans rappeler le dernier roman de Boualem Sansal, Rue Darwin[2. lire notre critique du livre ici ], alors même que deux générations les séparent. Coïncidences de regards sur ces blessures d’enfance qui jamais ne cicatrisent…
Regards croisés / L’homme du double pays, rencontre et lecture musicale avec Kaoutar Harchi et Yahia Belaskri dans le cadre de Strasbourg-Méditerranée, samedi 3 décembre, à la Librairie Kléber
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