Sous un ciel de lames
Avec la création de Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, la Cie Sine Qua Non Art dresse un portrait au couteau – pour cinq danseurs et un duo musical live – de notre part d’éternité face à l’inévitable. Entretien avec Christophe Béranger.
Vous empruntez le titre de votre pièce à un livre de Christian Bobin et Édouard Boubat, transformé au présent. Est-ce une quête d’immédiateté ?
Nous vivons au présent, d’où le “meurt” à la place du “meure” original. Face à la menace, notre chorégraphie appelle une imminence : apprendre à être et à vivre ensemble. Le livre de Boubat et Bobin, mélange de photos et de textes, nous accompagnait en répétition, servant de base pour nourrir nos improvisations.
Des dizaines de machettes suspendues forment un ciel de couteaux menaçant les danseurs : compresser et contraindre l’espace, amener du danger étaient les points de départ de la création ?
Oui, cette idée était peut-être même là avant le livre. Jonathan Pranlas-Descours et moi avons deux façons bien distinctes d’entrer dans une pièce : il s’attache beaucoup à la scénographie car il vient du théâtre et des arts plastiques tandis que je me focalise plus sur les corps. Nous avions envie de travailler sur une suspension, une verticalité face à l’horizontalité de notre danse, mais aussi de l’aspect festif des danses populaires qui réunissent les gens, du folklore aux musiques actuelles. Nous avons testé de nombreuses choses suspendues sans succès. Tout était trop léger, plat… jusqu’à cette idée de l’arme blanche pointant clairement le dessous, sans oublier sa symbolique de pouvoir, de puissance et de domination phallique. Ce ciel menaçant de couteaux modifie en soi l’état des corps en dessous. Il sublime la force de vie. Les lames sont comme des miroirs, des boules à facettes dangereuses explosées dans l’espace.
Pourquoi les faire lentement s’élever ? Un écho à la tension et la violence actuelles, au besoin d’entrevoir autre chose ?
Les corps se libèrent de la menace. Le monde est en plein bouleversement et, instinctivement, car ceci est né avant les attentats, nous voulions parler de la force de vie qui nous permet de dépasser les obstacles. Au début, nous sommes couchés au sol, les lames se trouvant à 20 cm ! Cette contrainte handicapante a nécessité, pour trouver notre place, un lâcher-prise qui prend la forme d’une rave party couchée !
Vous abordez les choses en creux, par l’absence, ce qui n’a pas abouti et a été délaissé…
On travaille toujours à dire ce que l’on est, montrer ce que l’on fait. Toute une part de nous est délaissée car nos vies sont faites de choix, de chemins que l’on prend au détriment d’autres. Mais ces derniers nous habitent tout de même. La pièce se nourrit donc des parcours atypiques de nos danseurs : Jorge a par exemple fait quatre ans d’Académie militaire qui ont marqué son corps tout autant que son passage au Cirque du Soleil. Nous alternons soli très libres à base d’impro et chorégraphies de groupe contraignantes.
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