Chris Potter et le saxophone de feu
Il n’est pas le plus connu des ténors de sa génération. Ils sont pourtant peu à posséder l’étendue de ses talents. Chris Potter is back avec une nouvelle formule, en trio, aussi virtuose qu’impressionnante.
Voilà un monsieur qui n’a pas besoin de sortir un nouveau disque pour être invité à jouer. Cette liberté face au cercle vicieux de l’industrie musicale en dit long : Chris Potter n’a plus rien à prouver. Ténor en chef, le saxophoniste swingue depuis une vingtaine d’années sur une écriture échevelée, moquant les clichés d’une indépendance exclusive entre la musique complexe et la musique accessible, érigeant en exemple l’immense Wayne Shorter qu’il voit comme un compositeur intellectuel mais organique. Sous ses airs de gendre idéal, Chris Potter fait trembler les chaises de son jeu puissant et très technique. Époustouflant pour qui le découvre – et le redécouvre – il est le vecteur d’un jazz enlevé, à la nervosité toute new-yorkaise… Une filiation spirituelle et musicale qui le voit propager l’atmosphère particulièrement fiévreuse d’une ville où les acteurs et amateurs de jazz forment de grandes familles d’habitués. De sa Caroline du Sud natale, le virtuose, alors jeune musicien, avait ressenti cet appel à l’époque des mouvements migratoires unilatéraux suivis par la fine fleur des jazzmen, pressés de prendre le pouls de la bête dans son antre. Le genre de choix de vie irrévocables, si bien que certains n’en sont jamais revenus. C’est le cas de Chris Potter qui y a découvert un chez-soi de premier choix.
Paul Motian, Jim Hall, Dave Holland, Brad Mehldau, John Scofield ou Jack Dejohnette y sont devenus ses partenaires de jeu les plus célèbres – à défaut d’en être les plus réguliers – alors qu’il s’y est dessiné un son de ténor pur, en même temps qu’un nom de leader écouté et apprécié pour ses formations en quintet et quartet, longuement expérimentées. À Pôle Sud, le saxophoniste goûtera la liberté d’occuper un espace harmonique plus vaste, en trio, lui laissant le rôle d’unique soliste soutenu par une section rythmique pétulante de jeunes new-yorkais à la page : Kush Abadey à la batterie et Joe Martin à la contrebasse. Avec ce nouveau combo, Chris Potter s’est trouvé des partenaires idéaux qui savent swinguer en toutes circonstances, y compris sur les cascades de notes de ses chorus déversés dans des phrases au tempo et à la vélocité hallucinante. À la force de son “biniou”, Chris Potter sait plaire aux auditeurs hébétés, relâchés dans la nature, déconfits d’admiration, après un set de jazz comme on aime les entendre.