Les Amants de Paris
La jeune metteuse en scène Julie Duclos, artiste associée du Théâtre national de La Colline, s’inspire largement du film culte La Maman et la Putain dans Nos Serments. Entre empire des sens et sens sous emprise.
Au début des années 1970, trois films renversaient à eux seuls le cinéma et les valeurs “à papa” ! La Maman et la Putain de Jean Eustache, La Grande bouffe de Marco Ferreri, Les Valseuses de Bertrand Blier tançaient les vies toutes tracées et rompaient avec les schémas familiaux petits bourgeois. Ils provoquèrent autant d’émoi que de fronde totalement hostile à l’évolution des mœurs décrites. Des 3h30 de pellicule de La Maman et la Putain, Julie Duclos livre 2h20 de théâtre joué comme la vraie vie, dans un long plan séquence interrompu par quelques noirs propices à des projections vidéos mettant en scène les personnages du plateau une fois sortis de leur appartement.
Amours libres
L’intrigue suit les grandes lignes du film de Jean Eustache. François, oiseau de nuit traînant sur les grands boulevards, ne travaille pas. Ce loser sublime quitte sa compagne pour s’installer chez Esther, beaucoup moins jalouse, qui accepte de le laisser papillonner avec d’autres. De toute façon elle l’a dans la peau, même si elle rêve, parfois, de s’en désintoxiquer. Jusqu’au jour où il rencontre une jolie infirmière – Oliwia, avec un “w” –, Polonaise qui n’a pas froid aux yeux et qui ne serait pas contre une relation à trois si elle ne peut s’accaparer pour elle seule ce type pas comme les autres. Il y a quelque chose de Mathieu Amalric dans Rois et Reine de Desplechin dans la manière qu’a David Houri de camper son personnage : intello distancié un brin mégalo et mélancolique, humour incroyable et art du répondant cultivé avec ce pas du côté du sensible et de l’étonnant qui désarçonne. Julie Duclos a travaillé sur de longues improvisations de situation, le jeu s’inventant en dialogue avec l’écriture, confiée au scénariste de cinéma Guy-Patrick Sainderichin. Si séduisant que soit cet emprunt aux codes du 7e art, le recours systématisé aux projections vidéo pour représenter les actions situées à l’extérieur de l’appartement servant de huit clos des cœurs, lasse tout autant que l’ajout d’une voix off sur-explicative.
Passion charnelle
Bien plus que cette question formelle, c’est avant tout sur l’évolution du rapport au couple et à l’amour, que l’on attend la compagnie L’In-quarto. À chaque génération sa révolution pense-t-on. La crise de la famille ici représentée paraît pourtant bien fade. Les problématiques de l’amour libre et de ce choix entre la maman (la compagne officielle) et la putain (l’amante illégitime) auxquelles Eustache donnait avec vigueur un sentiment de vertige incroyable – à rebours des manières de dire des années 1970 – sent ici la fleurette d’ado en mal de grande histoire pour toute la vie et de prince charmant charmant. Certes, la liberté sexuelle et affective des femmes n’est plus un débat. Mais leur émancipation n’a-t-elle en rien modifié les rapports homme / femme et la construction des couples ? Nos Serments se concentre sur la notion de désir, effleure la tentation pour pencher avec sensibilité du côté de l’expression des sentiments et de faux semblants : François et Esther “jouent à” plus qu’ils ne vivent réellement une histoire d’amour. Même les serments du titre n’engagent pas les êtres dans leur profondeur sublime, comme écho de besoins sincères et existentiels. François rêve bien d’écrire quelque chose. Mais ses compagnes successives n’ont-elles d’autre envie qu’un bonheur assouvi dans un modèle somme toute fort classique : aimer et être aimé par un seul être. Comme le héros de L’Insoutenable légèreté de l’être, François succombe à ses désirs. Oliwia l’attire alors qu’il lui « manque le goût, la culture, la conversation, le vernis de la distance et de la légèreté »… autant de qualités indispensables à ses yeux. Rien de bien neuf sous le soleil de Saint-Germain-des-Prés, m’sieurs dames.
https://www.youtube.com/watch?v=Q12zgo39ovg
> Projection du documentaire La Peine perdue de Jean Eustache d’Angel Diez, à La Filature, mercredi 23 mars à 18h30