Pierre Guillois et le théâtre du peuple
Si la création a tendance à devenir un théâtre des people, Pierre Guillois défend un théâtre pour le peuple dans l’institution qu’il dirige. Éléments d’explication.
De quel héritage vous sentez-vous dépositaire ?
Je connaissais le théâtre en arrivant, mais ne me rendais pas compte de tout. L’aspect populaire, je l’avais bien en tête, c’était mon truc, comme le travail avec des amateurs. Par contre, l’histoire chrétienne de gauche de ce public, les pièces du “vieux Pottecher” qui avaient pour objectif d’amener les gens à un certain niveau de “moralité”… Tous ses spectacles qu’enfants et adultes peuvent voir, qui contiennent une grande part de rêve et l’idée de communion entre les classes sociales, je n’ai mesuré leur poids et leur importance qu’avec le temps.
Comment vous êtes-vous inscrit dans cette histoire ?
Les gens d’ici ont des attentes fortes. Il faut savoir remettre en question le caractère moral des choses car il ne s’agit pas de caresser ce public dans le sens du poil. Cela fait partie de l’enjeu : respecter les traditions, ne pas faire du Jan Fabre tout en n’oubliant pas de jouer, en conséquence, avec ces limites.
Quel est le cœur de l’aventure de Bussang ?
Ici, on fait un théâtre qui ne ressemblera jamais à aucun autre et qui serait impossible dans toute autre structure. Si on considère ces données comme handicapantes – de nature à rogner l’imaginaire ou à impliquer des concessions artistiques –, il ne faut pas venir à Bussang ! Il y a des bornes et aussi de la “censure” sur des choses qu’on sait ne pas pouvoir faire sans vider la salle, même si on n’est jamais sûr de la remplir quoi qu’il arrive ! Mais se plier à la “ré-interrogation” d’un répertoire populaire en questionnant ce qu’il veut dire est intéressant. Cette année, je pars dans une aventure qui a toute sa signification qu’ici.
Pourquoi aussi avoir choisi le très contemporain David Bobee ?
Je ne dis pas ce qu’ils doivent faire aux artistes qui viennent ici, mais je leur demande si la question d’un spectacle pour un lieu et pour un enjeu populaire les intéresse. Il n’y a pas de règle. Personne ne sait ce que ça veut dire ! On peut faire des discours, mais jamais préjuger de ce que vont penser les gens. Il y a beaucoup de “théâtreux” que ça n’intéresse pas… Au contraire de David.
Quel est votre objectif pour le Théâtre du Peuple ?
Mon but est de renouer avec un public : par exemple, je fais participer un maximum d’enfants des villages du coin, réintroduisant cette année la figuration. Je veux recréer du lien. Il y a ici énormément de nostalgie de “l’ère Pottecher”. Certains ne viennent plus depuis qu’on ne monte plus ses pièces. Contre cela, il n’y a rien à faire. Il me semble néanmoins primordial d’écrire pour ce lieu. J’aimerais que cette idée me survive, qu’après mon départ, on ne présente pas que du répertoire… Les références culturelles qu’imposent les auteurs ont tendance à repousser un certain public que j’ai, au contraire, envie d’aller chercher : voilà l’enjeu majeur d’une création ici !