Le Péché des Lucioles: Interview avec Marcial Di Fonzo Bo au Maillon
Le Théâtre des Lucioles revient au Maillon avec La Paranoïa de Rafael Spregelburd. Après La Estupidez en 2008, Marcial Di Fonzo Bo présente donc une seconde pièce tirée de l’heptalogie de l’auteur argentin écrite d’après Les Sept Péchés capitaux de Jérôme Bosch. Entretien.
La Paranoïa est le sixième des sept péchés de Rafael Spregelburd. Avez-vous l’objectif de tous les monter avec le Théâtre des Lucioles ?
Non, notre projet n’est pas de faire les sept pièces. Nous avons commencé par le milieu avec La Estupidez, le quatrième volet. Les textes que j’ai choisi de monter[1. Le Théâtre des Lucioles a aussi monté La Panique (5e péché) co-mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo et Pierre Maillet] se ressemblent peu dans leur forme mais contiennent la même démesure : 36 personnages interprétés par sept acteurs dans La Paranoïa, un format XXL, jouissif et joyeux porté par une écriture vive et drôle sur des sujets essentiels pour le théâtre.
L’histoire se déroule dans un futur où des extra-terrestres nous dominent. Un commando réunissant une écrivaine, un ex-astronaute, un super mathématicien, un vieux robot plein de virus et un colonel autoritaire doit écrire une fiction en 24h pour sauver l’humanité. Un casting idéal pour une pièce de science-fiction ?
En tout cas, ce n’est pas commun. Parler de science-fiction au théâtre est rare. Le théâtre interpelle souvent le passé. Il parle très rarement – et très mal, généralement – du présent. Alors le futur ! Rafael n’a peur de rien. Il est inspiré par des questions qui déplacent et dépassent constamment l’objet théâtral. Les procédés d’écriture qu’il utilise et les thèmes de sa pièce questionnent les normes et explorent de nouveaux styles de narration.
La pièce est constituée d’une succession de micro situations qui ne prennent leur sens que dans leur globalité. Pour vous, sa réussite passait par la conservation d’un fil rouge ?
Si la pièce a l’air d’être totalement débridée, elle ne l’est fondamentalement pas. L’auteur est un grand amateur de mathématiques et de sciences quantiques. La Paranoïa n’est guère plus complexe qu’Alice au pays des merveilles. Tout le monde aujourd’hui accepte que cette petite fille change de volumes quatre fois, se retrouve dans des situations disparates. Donc ça ne pose aucun problème.
Le dispositif scénique est circulaire (clin d’œil au tableau rond de Bosch) avec de hauts décors blancs qui permettent de projeter de la vidéo dans un jeu de transparences. Comment est venue cette idée qui rappelle le théâtre optique d’Émile Reynaud ?
L’idée de départ était de créer un espace qui, à la manière des hologrammes, permette de faire se condenser les images sur le plateau tout en les faisant disparaître d’un seul coup, laissant un espace scénique assez neutre. La pièce se déroule dans un futur très lointain. Nous avons joué, avec notre costumier Pierre Canitrot, sur une esthétique rétro-futuriste qui fait référence à tous les films de SF, de ceux de Kubrick à Matrix.
La fiction inventée par le commando emprunte des éléments au réel avec beaucoup d’humour : le président Chávez, le culte de la chirurgie esthétique et un policier enquêtant sur les transsexuels… Vous vous êtes amusé avec ce pastiche de genres ?
Évidemment, c’est très jouissif. La pièce questionne ce que sont la réalité, l’illusion, la fiction. L’auteur se positionne par rapport à un théâtre politique. Aujourd’hui la fiction a le pouvoir de changer des générations. Il n’y a qu’à regarder comment les scénarios hollywoodiens portent des messages qui marquent et imprègnent le public. Spregelburd est très fort car il véhicule tout cela avec un humour fou. Ce n’est pas absurde mais tout de même un peu beckettien.
Sept comédiens (dont vous-même) interprètent une quarantaine de personnages. La mise en place a dû être compliquée, notamment l’interaction avec la vidéo ?
C’était vertigineux, d’autant plus que la pièce n’a pas de centre. Le sens circule des uns aux autres, de la vidéo aux comédiens… Nous avons énormément travaillé depuis un an et demi. Dans la pièce originale, il y a des parties de théâtre et des films projetés, réalisés à l’avance. Avec Élise Vigier (co-metteuse en scène, NDLR), nous avons eu envie d’approfondir ce rapport là en faisant les films en direct. Les acteurs se déplacent sur un fond vert à côté du plateau, filmés et incrustés dans des décors. Le tout est projeté sur scène. Il a fallu adapter la pièce dans cette dynamique-là. Un travail de fous !
Il y a un gros travail sur le lexique dans la traduction du texte depuis l’espagnol pour reproduire les aspérités d’une langue qui n’est pas que de l’espagnol strict ?
Une partie de l’intrigue se passe au Vénézuéla. L’espagnol qu’on y parle n’est pas exactement le même que celui d’Argentine. Ce décalage par rapport à notre propre langue est théâtral et souvent, très drôle. Du coup nous rencontrons des personnages tout à fait sérieux, convaincus des mots qu’ils utilisent. Ces petites catastrophes font que la perception du public est déplacée. D’autres catégories de perception se développent alors…
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