L’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg connaît de vives secousses. Dans la ligne de mire : le projet d’établissement mené par Otto Teichert, directeur de l’Ésad, qui affaiblirait l’option Communication… sur le pied de guerre. Cette crise : point de non-retour ou nouvel élan ?
Articles parus dans la presse (Télérama, DNA…), interviews des trois enseignants responsables des ateliers de l’option Communication, lettre ouverte de Claude Lapointe (fondateur de l’atelier illustration) ou encore de Jean-Christophe Menu (créateur de la maison d’édition L’Association), lancement d’une pétition, et création d’un blog[1. http://jaimemonesad.blogspot.com] par des élèves, émotions d’anciens[2. Nicolas Wintz, illustrateur et plasticien, étudiant aux Arts déco de Strasbourg entre 1976 et 1981, livre son point de vue ici], prise à partie publique de l’adjoint à la Culture de la Ville de Strasbourg, Daniel Payot, communiqués officiels du directeur de l’Ésad Otto Teichert, démission de l’enseignant Pierre di Sciullo[3. Retrouvez sa lettre de démission ici], etc. Pourquoi l’École supérieure des Arts déco se met-elle dans de pareils états ?
Les coups fusent et les mots sont durs. Dans sa lettre de démission, Pierre di Sciullo met en cause le projet d’Otto Teichert. Il viserait une diminution du nombre d’étudiants, notamment en option Communication : une « saignée, nuisible pour l’ensemble de l’école ». Le chargé de cours dénonce aussi « le décalage entre notre réputation nationale et les conditions concrètes d’enseignement ». Les nombreux prix obtenus par ses étudiants4 et la visibilité qu’offrent les métiers auxquels l’option Communication (mentions “graphisme”, “illustration” et “didactique visuelle”) prépare, font en grande partie la renommée de l’Ésad.
Les contre-attaques sont réduites à la portion congrue : trois communiqués de l’école entre le 4 et le 15 février, Otto Teichert refusant toute interview. Du côté de la direction, on se demande pourquoi tant de haine ? La Com’ se sent en danger. Si l’option Communication a déclaré la guerre à la direction, c’est toute l’école qui tremble.
L’objet de la discorde
Successeur de Katia Baudin Reneau qui démissionna quelques mois à peine après son arrivée à la direction de l’Ésad, Otto Teichert entre en fonction en janvier 2008. La situation est « explosive » selon ses dires, d’autant plus complexe que l’école envisage de s’associer au Quai mulhousien et au Conservatoire de Strasbourg afin de devenir un établissement public de coopération culturelle (voir encadré sur l’EPCC). Le but ? Une plus grande autonomie, une meilleure visibilité, la mutualisation des compétences pédagogiques… Otto Teichert affirme engager une réforme qui « tient compte du contexte budgétaire actuel ». Première initiative : réduire l’effectif total d’élèves qui passerait d’environ 470 à 400. D’après le directeur, il n’est pas question d’élitisme, il s’agit « d’arriver à une adéquation entre notre objectif artistique et les moyens dont nous disposons ». Autre décision de la direction : le choix d’option (la “spécialisation”) se ferait en seconde année, soit un an plus tôt qu’aujourd’hui. Le directeur envisage aussi un passage en 4e année plus restrictif. Pour lui, « c’est comme se réinscrire à l’école via une commission. Il faudrait être plus attentif à ne retenir que des titulaires du DNAP (Diplôme national d’arts plastiques, NDLR) avec qui on se sentirait en “phase”. L’étudiant devra être suffisamment indépendant pour se situer dans un champ plus large, un projet de vie ».
Le clash
L’option Communication (la plus importante avec actuellement 160 élèves de la 3e à la 5e année) serait la plus touchée. C’est là « le nœud du problème » pour Philippe Delangle, responsable de l’atelier de communication graphique et coordinateur de l’option Com’. Olivier Poncer, responsable de l’atelier de Didactique visuelle, confirme : « Grâce au travail de Claude Lapointe et de Guillaume Dégé, l’atelier Illustration a acquis une grande renommée et attire énormément d’élèves ». Pourquoi réduire la voilure d’une option dans laquelle « les gens se précipitent de la France entière et même de l’étranger ? » se questionne Guillaume Dégé.
Cette domination de ce que tout le monde appelle “l’école dans l’école”, Otto Teichert semble bien décidé à y mettre fin. « Depuis les trente dernière années, la Communication n’a cessé de se développer, souvent sans l’aval de la gouvernance de l’école. » Afin de réduire les disparités d’effectifs entre options, il imagine fixer le nombre d’élèves à environ 65 / 70 par filière. Pour la Com’, on arriverait à 130 / 140 élèves, soit « le double des autres », souligne-t-il. « Preuve que je ne veux pas la mort de l’option ». Si les trois chefs de file de la Com’ (Poncer, Delangle et Dégé) sont rentrés dans un affrontement avec la direction, utilisant la presse et leur savoir-faire de communicants, c’est « pour ne pas subir de coup d’arrêt. On n’est pas assez entendu par Teichert », explique Delangle. « Son discours est idéologique. Il parle d’Art avec un grand “A”, ce qui est une vision archaïque d’une école d’art. »
De son côté Otto Teichert admet qu’« il n’y a pas unanimité sur le projet. Ça débat fort. Changer de mode de fonctionnement et de culture est compliqué. Mais ce qui devait rester des débats internes a été maladroitement mis sur la place publique ». Nombreux sont les enseignants d’autres filières (Art, Design et Objet) à se sentir pris en otage, voire lésés, par les coups d’éclat du trio. À l’heure où chaque option doit constituer un dossier de maquettes pédagogiques en vue d’un agrément par l’AERES[4. www.aeres-evaluation.fr] (voir encadré sur l’EPCC), la polémique ralentit les concertations alors que la date butoir de remise des dossiers, le 15 mai, arrive à grands pas… Daniel Payot joue actuellement les médiateurs entre la direction et ses opposants qui réclamaient son intervention : « Mon rôle est de renouer le dialogue entre les deux parties ».
Après la pluie…
L’option Communication doit-elle « ouvrir une entreprise de lutherie pour apprendre à pisser dans des violons ? » comme ironisent les intéressés. Le trio n’est pas prêt à baisser la garde. Guillaume Dégé : « On ne demande pas à Teichert de changer de dogme, mais d’assurer la pérennité de nos postes d’enseignants ». Pas sûr que le directeur de l’Ésad change son fusil d’épaule… Pourtant, il positive : « Cette querelle est bonne puisqu’on n’arrête pas de dire que le niveau est excellent à l’Ésad ». De même, Daniel Payot pense qu’une « institution se construit par des moments de stabilité et de renforcement, mais aussi par des crises. On peut aussi espérer que celle des Arts déco engendre de bonnes solutions ». Souhaitons que la suite de l’affaire le confirme…
22 février : Le conseil municipal de Strasbourg adopte le lancement d’une étude d’opportunité pour la transformation du Conservatoire et de l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg et le rapprochement avec l’École supérieure d’Art Le Quai de Mulhouse.
Fin mars : délibération identique à l’ordre du jour du conseil municipal de Mulhouse
15 mai : l’Ésad présente son dossier de maquettes pédagogiques à sa tutelle (ministère de la culture) pour une co-validation
Fin juin : dépôt du dossier à l’AERES (un dossier par option)
Septembre : résultat de l’AERES
Juin 2012 : 1er grade de Master délivré aux Arts déco