Taper dans l’œil
Artiste majeur de la scène libanaise, Rabih Mroué est plasticien, performeur et metteur en scène. Dans l’exposition Mer Méditerranée, il présente son point de vue singulier sur les enjeux contemporains du Proche-Orient.
Né en 1967 à Beyrouth, Rabih Mroué a grandi et s’est construit sous les bombes. À travers son œuvre, il se pose d’abord comme un témoin, questionnant le réel, en décalant toujours le regard du spectateur afin de lui faire observer ce qu’il ne voit plus à force de banalisation. « J’essaie de créer une distance avec ma région d’origine, pour mieux comprendre sa situation politique et mon rapport à elle, et faire resurgir des mots et des images éloignés des mobilisations politiques déterminées à l’avance ou des idées et textes canoniques touts prêts pour les médias », confie l’artiste. En inscrivant côte à côte l’information et le devoir de responsabilité, il réinjecte des faits d’actualité dans ses œuvres pour en aiguiser la perception. Prenant sa source dans le théâtre, son travail plastique est composé de vidéos, de photographies et d’installations. « Je m’interroge sur la frontière entre le dramaturge et le plasticien. Au final, c’est toujours nous qui décidons si ceci est de l’art ou pas, si cette présentation que je fais est une performance théâtrale, un acte révolutionnaire, une conférence-performance ou une conférence tout court. Peu importe le nom, c’est le matériau offert à la réflexion qui compte, l’impact de l’œuvre sur nos croyances, ce qu’elle bousculera dans nos normes, nos traditions et nos stéréotypes. »
Le matériau de Mroué, c’est fatalement la guerre. L’exposition commence avec une courte vidéo montrant la destruction d’un immeuble d’habitation. Par la magie du montage, l’artiste joue avec le temps, déconstruisant et reconstruisant le bâtiment, réécrivant le passé. Plus loin, une autre présente des annonces de personnes disparues dans lesquelles Rabih Mroué a inséré sa propre photo, s’appropriant ainsi leur histoire pour interroger la question de l’identité et de son absence. Au sol, inondant l’espace, la projection d’un corps flottant dans l’eau oblige le spectateur à la traverser pour poursuivre sa visite. Il découvre alors cette bouleversante installation sonore, composée de deux enregistrements de la voix de son frère Yasser à dix ans puis à quarante-quatre ans, après qu’un tir dans la tête l’eut contraint à réapprendre le langage. Et que dire de cet extrait du match Allemagne-Italie, qui rappelle qu’à l’occasion de la finale de la Coupe du Monde de foot 1982, en plein siège israélien de Beyrouth, un accord de trêve fut conclu entre les belligérants le temps du match ? Aucun coup de feu, aucun incident pendant ces deux heures.
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