La Théorie de l’évolution
Depuis février, Philippe Labbé a repris les rênes de L’Arnsbourg (Baerenthal) avec la volonté de reconquérir trois Étoiles : s’y déploie aujourd’hui une cuisine ciselée à l’extrême, à la fois profondément nouvelle et respectueuse de l’esprit d’un lieu mythique.
Né à Troyes, formé à l’école hôtelière de Strasbourg, Philippe Labbé, désormais installé en Lorraine, se définit comme « un homme de l’Est ». Son parcours étincelant l’a néanmoins entraîné de la Côte d’Azur (à la Chèvre d’Or d’Èze, de 2003 à 2009) à Paris, où il avait 90 cuisiniers sous ses ordres jusqu’en septembre dernier, au Shangri-La, palace qui compte trois tables, dont la très gastronomique Abeille. Chaque fois, il obtient deux Étoiles au Guide Michelin (plus une au restaurant cantonnais de l’hôtel : le Shang Palace). Le voilà à L’Arnsbourg pour un challenge de taille. Avec la maîtresse des lieux, Cathy Klein, dont l’enthousiasme est inextinguible, il s’agit en effet de redonner ses trois Étoiles – suspendues après le départ de son frère Jean-Georges – à un établissement majeur du paysage culinaire français.
En quelques mois, ce disciple revendiqué de Francis Chauveau (dont il fut sous-chef au Carlton de Cannes au début des années 1990 et avec qui il partage une discrétion naturelle et une incroyable finesse) a imaginé une partition passionnante, réussissant à résoudre la quadrature du cercle. « Je ne voulais pas faire table rase du passé », explique-t-il. « Il faut respecter ce qui a existé, tout en changeant progressivement. Peu à peu, je vais faire découvrir ma cuisine. » Une évolution, mais pas une révolution : tel est le credo de Philippe Labbé. Ce souhait se déploie dans la carte, entre un délicat clin d’œil à Lily Klein – qui hissa la maison au firmament culinaire avec le menu qui porte son nom – et des plats enthousiasmants. Pensons à une Floralie coraillée d’un tartare de langoustines, acidulé de Granny Smith, ravioles de radis japonais poêlées en vinaigrette de daïkon. S’y découvrent un équilibre graphique incroyable et poétique – quelque part entre la liberté d’une toile de Cy Twombly et la rigueur de l’abstraction géométrique – et des sensations stupéfiantes toutes en twists successifs. Voilà un brillant éclat de l’art d’un chef affirmant qu’une « cuisine aujourd’hui sans émotion n’a pas de raison d’exister » (une évidence que certains oublient parfois, sacrifiant trop à la virtuosité), un ciseleur d’assiettes de haut niveau qui sait enchanter les palais les plus revêches, dont un des plats signatures est le génial Foie gras de canard poêlé et fumé au Cohiba. Et une, et deux, et trois Étoiles !
03 87 06 50 85 – www.arnsbourg.com