Il y a 300 ans naissait une ville : pour célébrer son anniversaire, Karlsruhe se métamorphose en work in progress artistique permanent : expositions, concerts, animations, rencontres… Visite dans la cité du Bade-Wurtemberg, quelques jours avant le début des festivités.
Dans une lettre de 1801 à Ulrike, sa demi-sœur adorée, Heinrich von Kleist écrivait : « Il est dommage que tu n’aies point vu cette ville bâtie en étoile. Elle est claire et lumineuse comme une formule et lorsque l’on y entre, l’on a l’impression qu’un entendement ordonné s’adresse à nous. » Il parlait de Karlsruhe. La cité est née en 1715 de la volonté du Margrave Charles Guillaume de Baden-Durlach d’avoir une nouvelle résidence après la destruction de sa forteresse. Enjolivée, l’histoire s’est métamorphosée en légende fondatrice version « I have a dream », celui d’un homme endormi sous un arbre, se réveillant d’une sieste champêtre dans un cadre idyllique et décidant d’y bâtir Karlsruhe, c’est-à-dire “le repos de Karl” (Charles en français), ville idéale à la mode du XVIIIe siècle construite de manière géométrique autour du Château. Du bâtiment originel subsiste la tour octogonale marquant le centre du “système rayonnant” qui structure la cité allemande qui, vue de haut, ressemble à un éventail ou un soleil irradiant avec ses 32 rayons. Aujourd’hui, l’édifice abrite le Badisches Landesmuseum où se déroule (jusqu’au 18 octobre) une exposition majeure – parmi quatre organisées pour le 300e anniversaire – dédiée au Margrave dessinant les contours d’une personnalité multifocale passionnée par les fleurs exotiques, l’alchimie, la pipe, la chasse, les canaris et… les femmes. Posé dans le parc, un pavillon futuriste construit par Jürgen Mayer-Hermann sera l’épicentre des mois à venir : il s’y passera toujours quelque chose du 17 juin au 27 septembre… Ce festival d’été s’ouvrira avec une fête d’ouverture annoncée féérique, exigeante et populaire à la fois, (quatre jours avec le 20 juin comme point culminant). Au fil des semaines seront organisées des milliers de manifestations comme le festival de jazz de Bade-Wurtemberg (du 4 au 6 septembre ou le Zeltival (du 9 au 12 août Tollhaus avec notamment les Puppini Sisters et Patti Smith) : Karlsruhe a mis les petits plats dans les grands pour fêter son anniversaire.
Liberté, Bauhaus & taupe L’absence de quartier médiéval confère à l’espace un aspect fluide, une structure urbaine qui se reflète dans une histoire, « ouverte sur le monde. La liberté et la tolérance sont dans l’ADN de Karlsruhe depuis ses débuts », rappelle Peter Spuhler, directeur du Badisches Staatstheater (où sera donnée un prometteuse version d’Iphigénie en Tauride de Gluck, du 13 juin au 14 juillet). Hier, la région accueillait les Huguenots fuyant la France après la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685 – une communauté s’implante à Neureut en 1699 – aujourd’hui elle compte près de 20% d’étrangers. Le plus bel emblème ? Le siège du Bundesverfassungsgericht, la cour constitutionnelle allemande. Désormais, le symbole de la ville est aussi une taupe rigolarde coiffée d’un casque de chantier et d’un gilet orange à bandes phosphorescentes : Kombi-Karle est la mascotte d’une cité en chantier pour la réalisation d’un projet de restructuration du système de transports, version souterraine (achèvement prévu en 2019). Cette Kombilösung (solution combinée) permettra de renforcer le versant vert de Karlsruhe, mettant en valeur la beauté des bâtiments classiques de Friedrich Weinbrenner comme sa fameuse Pyramide (1825) : trônant sur la Marktplatz, elle abrite la tombe du Margrave (et rappelle les audaces de Claude-Nicolas Ledoux). Une très belle exposition est consacrée à l’architecte et urbaniste allemand à la Städtische Galerie (du 27 juin au 4 octobre). On y découvre maquettes et dessins originaux où les alignements classiques ont parfois l’aspect onirique des places publiques de la Pittura metafisica de Giorgio de Chirico. Le visiteur retrouvera de fascinantes atmosphères dans le quartier de Dammerstock où Walter Gropius, chef de file du Bauhaus, a bâti sa cité idéale restée inachevée pour raisons budgétaires : seuls 228 appartements ont été livrés.
Grünewald, art multimédia & balles Lorsqu’Heinrich Hübsch imagine, au début du XIXe siècle, la Staatliche Kunsthalle, un des plus anciens musées d’Allemagne, il souhaite une œuvre d’art totale englobant peinture, sculpture et architecture, un lieu « où l’œil, l’émotion et la raison vont main dans la main ». Dans un bâtiment néoclassique germanique aux influences italiennes se découvre d’impressionnantes collections (avec une hallucinante crucifixion de Grünewald) et de belles expositions temporaires comme celle dédiée à Caroline-Louise de Bade (jusqu’au 30 septembre) qui présente une collectionneuse d’envergure européenne du XVIIIe siècle. Elle avait acheté des chefs-d’œuvre signés Teniers, Rembrandt, Chardin ou van Dyck. Grâce à cette aristocrate éclairée, Karlsruhe s’était alors affirmé comme un centre des arts et des sciences battant au même rythme que son époque. Dès sa fondation, la ville s’est considérée comme un étendard de la contemporanéité. Aujourd’hui, le ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie) a repris le flambeau. Cet « objet culturel non identifié est un mix entre deux musées, un centre de recherche, un théâtre, une maison pour la musique et la danse. Tous les arts et les medias se mêlent ici », explique sa directrice Christiane Riedel. Installée dans une ancienne usine de munitions, l’institution propose GLOBALE (ouverture le 21 juin), événement artistique à l’ère du numérique qui, 300 jours durant célèbrera l’anniversaire de la ville sous la houlette du grand ordonnateur artistique du ZKM, le fascinant et insaisissable Peter Weibel : plasticien, théoricien, spécialiste des nouveaux médias, commissaire d’exposition, rockeur, ancien actionniste tendance Otto Muehl… Le programme ? Un tsunami créatif posant d’essentielles questions : comment la globalisation a-t-elle métamorphosé l’art ? Assiste-t-on à une Renaissance 2.0 ? Notre coup de cœur au cœur de ce laboratoire est définitivement une exposition monographique de Ryoji Ikeda (du 21 juin au 9 août) artiste multimédia et compositeur de musiques électroniques célèbre pour ses installations vidéo-sonores immersives.