Le Salaire de la peur
Sur les routes de la Bosnie en guerre de 1995, deux camions progressent péniblement. Avec Check-point, Jean-Christophe Rufin livre un passionnant “thriller humanitaire”.
Jean-Christophe Rufin est un conteur hors pair. On le savait depuis L’Abyssin. C’était confirmé avec Rouge Brésil (Prix Goncourt, 2001) ou Globalia. Dans Check-point, il plonge ses lecteurs au cœur d’un univers qu’il connaît bien, l’humanitaire. Chef de multiples missions pour Médecins Sans Frontières, l’Académicien livre un roman étrange entre thriller psychologique et road movie sur les chemins défoncés de l’ancienne Yougoslavie en guerre. Deux camions à bout de souffle, cinq personnages, une épopée boueuse… Le chef de mission fume pétard sur pétard et semble perdu. En l’observant, on peut légitimement se demander, comme le fait un des protagonistes « si les humanitaires, Lionel par exemple, aimaient vraiment les victimes. Ou si, à travers elles, ils n’aimaient pas simplement l’idée de pouvoir aider quelqu’un, c’est-à-dire de lui être supérieur. » Celle qui dit cela se prénommé Maud : jolie fille, idéaliste en diable, elle planque son mal-être et ses peurs derrière ses grosses lunettes et sous des pulls sans forme. Les trois autres ? Deux anciens Casque bleus énigmatiques version soldats perdus et un type étrange : agent secret français ? Flic ? Barbouze attiré par les situations emberlificotées comme une guêpe par le miel, en tout cas. Rufin nous embarque dans ce convoi avançant cahin-caha sur les routes de Bosnie, de check-point en check-point. Pour l’auteur, ces “points de contrôle” sont « l’emblème du chaos et du morcellement d’un pays soumis à une guerre civile, ils signifient que la frontière est partout, que tout le monde devient en quelque sorte le gardien de son propre territoire. D’un point de vue plus métaphorique, c’est aussi un point de passage vers autre chose. » Et c’est bien de cela dont il s’agit, puisqu’au fil des pages le lecteur découvre des personnalités complexes et tourmentés et comprend que leurs motivations humanitaires ne sont qu’un rideau de fumée. Les vraies raisons de leur départ se nomment amour, volonté de se prouver quelque chose, combat politique, appât du danger ou encore désir se sortir du gris quotidien. Chacun se découvre dans le huis clos de la cabine du camion et pendant les bivouacs. Si le roman pose des questions essentielles aisément transposables sur d’autres terrains d’opération aujourd’hui (Faut il armer les victimes ? Vit-on une crise de l’Humanitaire traditionnel ?), il est avant tout un extraordinaire thriller, riche en rebondissements. Mais est-on certain que ces camions ne contiennent que des vivres et des couvertures ?