Clef de contact

© Elene Usdin

Philippe Decouflé rêvait depuis longtemps d’une comédie musicale slalomant entre cabaret de Broadway et cinéma de Jacques Demy. Avec Contact, le plus fantasque des chorégraphes français signe un spectacle total, excessif et vertigineux.

Au commencement de ce projet à l’ambition folle, il y a Faust, une exploration de la dualité humaine, dieu et diable, bien et mal. Autant dire que Decouflé convoque rien moins que la terre et le ciel sur scène. Accompagné de seize acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens, le chorégraphe repousse encore les contours de son monde extravagant pour faire place à une avalanche de références aux contrastes éclatants. La flamboyance de West Side Story fait exploser le clair-obscur expressionniste du Faust de Murnau, les fresques collectives à la géométrie savamment orchestrées soulignent les pantomimes dansées empruntées à Chaplin. La flamme de Pina Bausch n’est jamais très loin : le spectacle doit du reste son titre à une de ses œuvres majeures, Kontakthof (1978). Mais les maîtres de Philippe Decouflé sont parfois plus surprenants : « Tex Avery m’a beaucoup inspiré dans la recherche de gestes a priori impossibles à réaliser. Il me reste toujours quelque chose d’extrême ou de délirant de ce désir, une bizarrerie dans le mouvement. Je recherche une danse du déséquilibre, toujours à la limite de la chute. Avec des modèles comme les Marx Brothers par exemple, et en particulier Groucho, j’ai cultivé la prise de risque malicieuse, la répétition comique de l’erreur. »

Comme lui, les artistes s’amusent sur le plateau, invitant les spectateurs dans l’envers du décor, côté coulisses, où tout se passe vraiment. Actrice à part entière, la vidéo se mêle à la danse, au chant, à la musique, à l’acrobatie et à la magie pour fabriquer des fantasmagories évoquant tour à tour la sensualité d’un couple enlaçant ses chairs, la pureté d’une danseuse s’envolant dans les airs, la perversité d’un acteur enrôlant délicieusement le mal. À la baguette musicale, Nosfell et son complice Pierre Le Bourgeois signent un opéra d’un autre monde, dont la partition aux accords épurés entrelace la musique de Berlioz, le rock alternatif des années 1970 et les bandes originales de Danny Elfman, tout en réveillant en sursaut L’Opéra de Quat’sous. Le livret en plusieurs langues prend sa source dans la traduction par Nerval du chef d’œuvre de Goethe. « Chez ce fou, rien de terrestre. Il demande au ciel ses plus belles étoiles et à la terre ses joies les plus sublimes, mais rien de loin ni de près ne suffit à calmer la tempête de ses désirs », dit Méphistophélès à propos de Faust. À moins qu’il n’ait croisé en chemin Philippe Decouflé ?

À Mulhouse, à La Filature, vendredi 24 et samedi 25 avril
03 89 36 28 28www.lafilature.org
www.cie-dca.com

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