Éphémère Metropolis
La compagnie Kubilai Khan Investigations s’infiltre dans le bruit du monde, décryptant, dans Tiger Tiger Burning Bright, l’accélération frénétique du rythme régissant nos vies et nos villes.
En choisissant pour titre de sa pièce le premier vers de The Tyger, l’un des plus célèbres poèmes de William Blake, Kubilai Khan Investigations poursuit son parcours sous le patronage d’illustres auteurs anglais, elle qui emprunte déjà son nom à Samuel Taylor Coleridge. Dans son métissage habituel, Franck Micheletti réunit des danseurs venus des quatre coins du globe (Mozambique, Hongrie, Japon…) pour ce spectacle. En 2012 se cristallisait pour lui l’impression d’une accélération sans fin de nos sociétés, des grandes mégalopoles mais aussi, de manière plus intime, des corps et des relations des êtres au profit d’un nouvel ordre du monde. « Nous vivons dans l’espace chaque jour plus étendu des concentrations urbaines. Les villes bougent, elles sont les territoires favoris de ces mises en mouvements incessants dont le moteur est la domination du plus rapide. » Pour le chorégraphe le constat est sans appel : « Nous manquons d’air. Nous sommes aspirés, captifs, auto-asservis, en pilotage automatique, indifférents à nous-mêmes… »
Le temps du changement permanent
Prenant appui sur les travaux du sociologue allemand Hartmut Rosa, Franck Micheletti donne corps au concept d’accélération sociale. Ses danseurs évoluent telle une foule électrisée par des remous urbains qui jamais ne s’épuisent. Entre frénésie d’actions collectives répétitives et harmonie de pas singuliers se mêlant dans un maelström endiablé, chacun s’offre au regard des autres sans s’en préoccuper. Des duos en miroir forment une valse des êtres et des envies, vite bousculées et remplacées par les spirales sans fin de derviches sans transe, possédés par une quête sans queue ni tête. Sur une bande-son scintillante de clarté minérale, la vitesse nous grise dans son exploration des plaisirs cinétiques, ses alternances d’intensité conférant une douceur incroyable à des portés dont les effluves de tendresse sacrent les corps à corps, les circonvolutions à deux, les envolées dos à dos d’êtres qui se cherchent. Les mouvements de bras multipliés à l’envi, dans des chaloupés syncopés et chorégraphiés, vibrent de toute leur variété jusqu’à complète satiété. Les corps “origamiques” des interprètes se meuvent et se déforment en tours et détours, emportés par la foule et son rythme saccadé jusqu’à la nuit tombée, peuplée de visions stroboscopiques et d’élans nocturnes plus ou moins solitaires. L’odyssée de la vitesse ici explorée en un écho à l’incessant bruit des villes et de la modernité sonne, sonne, sonne…
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