Le Comédien malgré lui
Le metteur en scène Mathias Moritz s’attaque au plus célèbre roman de Flaubert. Bovary, pièce de province tord le cou aux idées reçues et se concentre sur un drame fait de grands renoncements et de petits rêves d’ailleurs balayés par les carcans sociaux.
Au milieu du XIXe siècle, les fourches caudines de la censure condamnaient Gustave Flaubert pour outrage à la morale publique et religieuse ainsi qu’aux bonnes mœurs. Madame Bovary avec son héroïne rêvant d’ailleurs plus joyeux dans les bras d’amants indolents et jamais assez satisfaisants n’était pas “acceptable”. De quoi séduire un Mathias Moritz toujours avide d’écritures dérangeantes – qui nous avait laissé sur une création autour de Werner Schwab au Maillon [1. Voir notre article sur Antiklima (X) dans Poly n°149 ou sur www.poly.fr]. Lui qui voulait monter Guignol’s band de Céline, se frottant à la frilosité générale des programmateurs hexagonaux, s’est retranché sur ce grand classique de la littérature. « Comme chez Pierre Guyotat, il y a une invention de la langue. Charles Bovary traverse tout le roman depuis sa naissance jusqu’à sa mort. L’œuvre tourne autour de lui mais personne ne le désire jamais. Ni Renoir, ni Minnelli, ni Chabrol ne s’en préoccupent vraiment : il est souvent un nigaud antipathique, on ne peut qu’être désolé pour lui. Pourtant, il avait de l’ambition avant d’être bridé. Théâtralement, je le traite comme quelqu’un qui voulait être un comédien mais qui, renvoyé réfléchir dans sa chambre par son père, décide de devenir médecin en baissant la tête », confie-t-il. Ce renoncement en fait « un grand comédien malgré lui, plaçant de la passion dans ce qu’il fait, malgré sa décision initiale. »
Le metteur en scène approchant la trentaine « aurait pu faire Notre Bovary, une heure de spectacle avec cinq comédiens parlant de l’essence du livre ». Il a préféré la linéarité dans une réécriture de son cru prenant en compte les brouillons originaux de Flaubert. Un peu moins de trois heures de spectacle mêlant scènes de boulevard et moments psychologiques pour onze comédiens au plateau, comme autant de destins possibles, chaque acteur s’emparant de trois ou quatre rôles. « Je suis dans une simplicité exemplaire, en train de réinventer le théâtre austère », assène-t-il goguenard. Tous les artifices du théâtre contemporain sont réunis : la vidéo « même si je m’en méfie », les fausses fins, les chansons (Freddie Mercury, Modern Talking…) chantées en français, etc. Dans une scénographie d’intérieur datée laissant petit à petit place au « chaos d’un lieu anachronique et inidentifiable », la matrice de l’industrie se développe au fil de la pièce, jetant les bases actuelles de notre monde : folie dépensière et endettement d’Emma Bovary, angoisse de l’avenir et vacuité certaine des êtres qui ne doivent « ni faire pleurer dans les chaumières ni sombrer dans trop de pathétique ».
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