Mise au vert
Huis clos sous tension dans la brume anglaise, La Campagne de Martin Crimp révèle un énigmatique triangle amoureux. La metteuse en scène Catherine Javaloyès explore ses faux-semblants, en quête d’une vérité qui apparaît au fil des mots, avant de s’échapper, insaisissable.
Corinne est mère au foyer, soucieuse des apparences, dévouée corps et âme à son mari. Richard est médecin de ville, parachuté à la campagne pour en finir avec ses “addictions citadines”. Comprendre ses relations extra-conjugales. Pour Corinne, en tout cas, car selon Rebecca, c’est bien pour la suivre, elle, que Richard s’est exilé au vert. Cette dernière, troisième personnage trouble, va servir de révélateur à ce couple bourgeois. « Travailler sur l’adultère, avec la femme jalouse, ne m’intéresse pas. J’ai plutôt envie de voir comment Rebecca, la maîtresse, va éclairer le fonctionnement du couple. Le triangle amoureux n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg. La pièce se fonde davantage sur le dévoilement d’existences humaines », précise Catherine Javaloyès, artiste associée au Taps cette saison. Les failles de chacun apparaissent peu à peu, au fil des quatre premiers actes qui avancent lentement dans une nuit brumeuse à la temporalité confuse et à l’ambiance onirique.
Il semble que rien ne se passe, que l’allure spectrale des personnages les dispense de s’inscrire dans la réalité. On croit reconnaître une situation du quotidien. Et puis non. Aussitôt, l’écriture déraille, bifurque, dérape. « La parole fait office de trompe l’œil. C’est là que se cache l’action. Une parole au rythme syncopé, cisaillée et fluide en même temps, capable d’interroger, de mentir. Elle domine et esquive. C’est la force de cette “pièce labyrinthe” qui joue avec indices et fausses pistes. Avec le parti-pris de nous perdre, elle se présente comme une carte avec des carrefours, des culs de sac brutaux, des demi-tours », poursuit la metteuse en scène, qui songe autant à Sherlock Holmes qu’à Pinter et Shakespeare en plongeant dans l’univers de Martin Crimp. Dans une scénographie dépouillée pour laisser place à l’espace mental, l’organique apparaît en contrepoint, touches végétales et minérales, touches de vérité irréductible. Puis survient le cinquième acte, au sortir d’un rêve étrange, comme un coup de théâtre, en plein jour, dans une lumière frémissante. Dans cette comédie noire aux allures de thriller psychologique à l’humour résolument anglais, il incombe au public de débusquer la vérité parce que Crimp, à l’image d’Hitchcock, brille dans la manipulation du spectateur…
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