Roméo et Juliette sont Les grands sensibles d’Elsa Granat

© Elsa Granat, Les Grands Sensibles - Résidence Oct. 23 - Peau à peau

Les amants maudits Roméo et Juliette reprennent du service dans Les grands sensibles d’Elsa Granat, création où la mort n’est qu’un début. Entretien avec la directrice artistique de la compagnie Tout un ciel.

Vous vous réappropriez Roméo et Juliette de Shakespeare en confrontant l’œuvre à notre époque. Qu’est- ce qui vous plait dans le traitement de ces relations parents / enfants ?
Mère de deux enfants, ce rapport entre les générations m’intéresse particulièrement. Je trouve que l’on vit dans un contexte où la manière d’éduquer présente un risque, non seulement pour la parentalité, mais aussi pour eux. L’éducation positive est privilégiée, sans succès. Il y a un décalage entre ce qu’on veut atteindre, et ce qu’on a. Dans cette pièce, Roméo et Juliette sont des enfants rois. Ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi il leur est interdit de se marier, alors qu’ils ont toujours eu ce qu’ils désiraient.

Dans votre version, la jeune Juliette célèbre ses 18 ans, lors d’une fête d’anniversaire réunissant Capulet et Montaigu. Cette fois, les deux familles ne se détestent pas…
Leurs relations sont apaisées, ils se côtoient, leurs enfants se connaissent un peu, mais ils ne sont pas amoureux. Puis, un jour, ces derniers se rencontrent et veulent se marier. Ils découvrent qu’une règle archaïque les en empêche, une règle que tout le monde avait oubliée et qui ranime la haine entre les vieux. Leur amour arrive comme une fracture, il pourrait tout changer, mais c’est une situation indépassable pour leurs familles. Les jeunes finissent par en mourir, même si la façon dont cela arrive diffère de la tragédie originale.


Pendant un temps, vous avez songé à les laisser vivre. Pourquoi ne pas avoir privilégié cette alternative ?

C’est bizarre, car j’ai essayé plusieurs fois de trouver un moyen de les sauver, mais ça ne fonctionnait pas. En les tuant, Shakespeare sacrifie intentionnellement l’avenir. C’est donc devenu idéologique : les enfants ne pouvaient pas s’en sortir, les parents devaient être ravagés par le deuil, par ce qu’ils ont créé. Ce point de bascule transparait dans les décors. Pendant l’anniversaire, l’ensemble est réaliste et reprend les codes esthétiques de la Renaissance : sol bleu roi, tulles dorés, costumes florentins grenat, etc. Quand ils meurent, l’espace se transforme, les double-fonds se déconstruisent pour révéler une salle de motricité, recouverte de tapis et trampolines permettant de travailler la coordination. Roméo et Juliette reviennent en fantômes, vêtus de blanc, pour rééduquer le corps et la pensée de leurs parents. Les morts prennent soin des vivants, sans ressentiment.

En plus des onze acteurs professionnels, des amateurs font partie du jeu. Qui sont-ils ?

Quatorze enfants du conservatoire de Saint-Denis sont en effet sur scène, ainsi que cinq seniors interprétant les oncles et tantes Capulet et Montaigu. Ils apportent de la fraîcheur, générant une identification auprès du public très intéressante à voir. Chacun joue avec sa propre compréhension du théâtre, ce qui crée une magnifique humanité. En tournée, les cinq personnes âgées changent à chaque représentation, ce qui donne un spectacle vraiment vivant.


Au Théâtre municipal de Thionville mercredi 16 et jeudi 17 octobre et au Parvis Saint-Jean (Dijon) du 26 au 30 novembre 

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