La douleur
Fragilité des matériaux, jeu dialectique entre apparitions et disparitions et rapport à la souffrance et au “corps médicalisé” : l’exposition Nosographies dévoile certaines obsessions de Laure André.
De face, ce sont d’immenses rectangles de carton gris. Un mètre vingt par quatre-vingts centimètres. À bonne distance, le visiteur pressé pourrait croire que Laure André appartient aux ultimes avatars d’une abstraction géométrique en perte de vitesse. Il faut se rapprocher. Tourner le regard. Apparaissent alors des milliers de minuscules trous réalisés avec minutie et une aiguille. Des formes extrêmement précises s’esquissent : gueules cassées directement jaillies des tranchées de 14-18, visages mutilés et bandés. Le « corps souffrant et l’esthétisation de la douleur » sont au cœur du travail de l’artiste strasbourgeoise fascinée par « l’univers médical, les palpations des praticiens pour découvrir, avec le toucher, une maladie qu’on ne voit pas avec l’œil ». Elle a patiemment gravé des lentilles de verre bombées, un travail d’une terrible précision – « Si la fraise va quelques millimètres trop loin, tout est fichu » – avec des mains qui évoquent des actes thérapeutiques éminemment intimes. Une préoccupation similaire irrigue ses “peintures doubles” présentées dans des boîtes d’entomologiste où le même motif se déploie, superposé, sur papier et sur organdi de soie créant d’étranges effets fantomatiques. On y voit des enfants auscultés avec un stéthoscope, contraints dans un corset, une aiguille plantée dans la délicate chair du cou, examinés par un toubib à l’air sadique ou encore la mâchoire violentée par un appareillage qui évoque plus la torture que l’orthodontie. On ne saura jamais s’ils consultent de manière banale leur médecin de quartier ou s’ils sont tombés dans les mains d’un disciple du Doktor Mengele.
Entre présence et absence, les œuvres méticuleuses de Laure André sont marquées par la fragilité, celle des matériaux (pétales de monnaies du pape, hosties, napperons…) et celle des corps, au centre du propos d’une plasticienne qui est également tatoueuse. Parfois, elle semble réinventer l’imagerie sulpicienne, lui injectant une belle contemporanéité qui entretient une réelle parenté avec les créations de Meret Oppenheim, influence parfaitement assumée, ou, de manière plus souterraine, avec les photographies de Romain Slocombe. On reste troublés en parcourant une exposition intitulée Nosographies, un terme que le Robert définit comme la « description et la classification méthodique des maladies ». Les œuvres présentées apparaissent alors comme des talismans, des manières d’exorciser, en s’y confrontant de manière frontale, la souffrance et la mort.
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