Apocalypse now
Chef-d’œuvre de John Adams, Doctor Atomic est présenté à Karlsruhe dans une production exemplaire. Les spectateurs assistent, sidérés, à un tournant glaçant de l’Histoire : la confection de la première bombe atomique.
Nixon in China ou The Death of Klinghoffer (sur le détournement par des terroristes palestiniens du paquebot Achille Lauro) : le goût du compositeur américain John Adams pour les sujets historico-politiques n’est plus à prouver. Avec Doctor Atomic (2005), fruit d’une commande de l’Opéra de San Francisco d’une œuvre sur le thème de Faust, il s’intéresse au Projet Manhattan qui vit naître la bombe atomique américaine. Le livret de Peter Sellars est un collage de textes (poèmes de Baudelaire ou de Muriel Rukeyser, échanges réels entre les différents protagonistes, extraits du Bhagavad-Gita…), tandis que la musique oppressante – magnifiée par une Badische Staatskapelle des grands soirs, sous la baguette de Johannes Willing – exprime souvent une pure terreur : sons enregistrés, violence apocalyptique des percussions, pluie et tonnerre sur le désert du Nouveau Mexique entraînent le spectateur dans une transe glacée…
Des certitudes du scientifique Edward Teller (Lucas Harbour, plein de solidité et de brio) aux dialogues entre Oppenheimer (Gabriel Urrutia Benet, tout en émotion et en ductilité) et son épouse Kitty (Katharine Tier, mezzo à la voix gracile), c’est toute la genèse du projet, jusqu’à la veille du test décisif qui est explorée dans un premier acte mis en scène de manière extraordinairement intelligente par Yuval Sharon. Tout se déroule dans un jeu permanent entre opacité et transparence. Un rideau sombre masque toute la scène : grâce à des effets de glissières, les cadres où se déroule l’action (laboratoire, bibliothèque d’Oppenheimer, bureau…) apparaissent, lumineux mais quelque peu voilés, comme les fenêtres d’un improbable calendrier de l’avent. Cet effet d’éloignement permet une intense concentration sur l’action, tandis qu’à l’Acte II la perspective est inversée : lumière crue et proximité sont au programme avec une scène traditionnelle où se déploie une gigantesque feuille de papier quadrillé, posée à 45°. Concentrée sur le jour de l’essai, l’action se fait alors plus molle, reflétant la paradoxale banalité administrative (problèmes de météo, gardiennage…) d’un événement qui allait changer la face de la planète, jusqu’à la fin d’une puissante poésie sonore. Rarement on avait vu tel déchaînement de forces élémentaires dans une partition et telles douleurs concentrées dans quelques mots prononcés avec douceur en japonais, juste après le bombardement d’Hiroshima…
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