Politique et drolatique, la mise en scène de La Pucelle d’Orléans de Tchaïkovski signée par le collectif Hauen und Stechen décape le Saarländisches Staatstheater.
L’œuvre est rare sur les scènes européennes, mais La Pucelle d’Orléans est pure extase sonore avec ses chœurs martiaux et ses airs nimbés de passion. Pour la découvrir, Julia Lwowski et son collectif Hauen und Stechen (littéralement “frapper et poignarder”) ont composé un spectacle radical, parangon de Regietheater dépoussiérant – et le mot est faible – une histoire bien connue, nous emportant des voix entendues à Domrémy à la condamnation au bûcher, à Rouen. Sur scène, il se passe à chaque instant beaucoup (trop) de choses : certains passages sont d’absolues réussites comme l’utilisation de la vidéo en temps réel en mode “reportage de guerre”, un procès dantesque (dans un décor ou sont accrochés des portraits de salauds coiffés d’une ironique auréole, prédateurs sexuels ou tyrans, d’Evgueni Prigojine à Augusto Pinochet, de Jeffrey Epstein à DSK) ou la révélation de la véracité des visions de Jeanne. On la voit ainsi accomplir des miracles au milieu d’une foule en guenilles, faisant marcher un paralytique ou transformant des pommes de terre en… frites.
Ultra politique, cette production convoque la guerre en Ukraine (certains passages sont même chantés en ukrainien) avec des projections glaçantes de cités en ruines, mais aussi le combat des femmes, l’héroïne étant vue comme une figure défiant le patriarcat… à toutes les époques, puisque Jeanne devient une voyageuse temporelle projetée dans l’avenir. La technique du blue screen permet de la voir lutter avec des androïdes du futur à grands coups de sabre laser… Sollicité de toutes parts, le spectateur n’a aucun répit avec le risque de voir son attention détournée dans un fourmillement de détails où le comique le dispute au trash. Ici, un costume kitsch en diable, là un papillon pourvu d’une immense vulve voletant au dessus de la scène, dont on peine à saisir le sens… Si la mise en scène tient parfois du bazar burlesque, dont on comprend néanmoins les buts premiers, la direction d’orchestre de Stefan Neubert, pour sa part, est parfaite : impétueux à souhait, le chef rend hommage à cette partition aux mille et une couleurs. Au point de vue vocal, l’affaire est aussi entendue, avec un plateau homogène où émergent néanmoins les voix de Carmen Seibel dans le rôle-titre – mezzo incandescente avec un timbre exquis – et de Valda Wilson. Exceptionnelle en Agnès Sorel, la soprano australienne possède une incroyable présence au plateau et nous séduit durablement par ses aigus rayonnants et sa profonde musicalité.
Au Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) dimanches 5 et 26 mai, puis dimanche 2 et vendredi 14 juin
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