Bérangère Vantusso revisite Rhinocéros au Théâtre de la Manufacture à Nancy

(c) Christophe Loiseau

Nouvelle directrice du CDN de Tours, Bérangère Vantusso crée Rhinocéros, à Nancy. Un classique de Ionesco traquant les mécaniques de propagation d’une furie collective.

Cette pièce est tombée en relative désuétude. C’est le regain des nationalismes, protectionnismes et autres “-ismes” qui vous la fait ressortir aujourd’hui ?
Le dernier à l’avoir montée dans le théâtre public est Emmanuel Demarcy-Mota, il y a plus de 10 ans. Mon envie est née de l’actualité de cette pièce de la fin des années 1950, qui montre une épidémie de rhinocérite gangrénant toute une ville. Cela percute cette manière dont, en 20 ans, on se met à admettre qu’il y ait 90 députés RN alors qu’en 2002, tout le monde était dans la rue face à la présence au second tour de Le Pen. Ce qui se passe en Italie, où l’extrême droite est au pouvoir, inquiète tout autant. Qu’est-ce qui fait que nous n’apprenons pas des rouages menant à cette transformation collective, ni de nos erreurs ? Et puis la dimension marionnettique de la pièce est puissante, reposant sur une dramaturgie de la prolifération : un rhinocéros traverse une place en écrasant tout, puis chacun se met à se transformer à son tour. Cette métamorphose ne sera pas concrète au plateau, mais passera par la matière. Ni cornes, ni animal, ni effet visible sur les humains, mais une transformation du dispositif scénique.

À cette dramaturgie de la prolifération s’ajoute celle de la destruction, évoquant la vulnérabilité de nos
sociétés…

Les deux sont entremêlées. Nous travaillons concrètement avec une unité de jeu qui est un cube de céramique de 15 centimètres par 15, montrant la fragilité de l’édifice collectif, qui se brise dès qu’il tombe, métaphore de la précarité de nos sociétés.

Comme souvent dans votre travail, la scénographie est un personnage à part entière ?
Elle est assez monumentale et forme une grande matrice de 8 mètres de large sur 3,5 de haut, composée de centaines de cubes blancs. Les comédiens-marionnettistes vont en extraire des morceaux dans une sorte d’immense théâtre d’objet servant d’espace de projection des imaginaires.

Les personnages sont souvent comme des pantins chez Ionesco. Comment cela résonne-t-il dans votre approche du corps et du jeu ?
Nous recherchons divers registres, assez tranchés, entre le personnage principal Béranger – qui finit seul dans sa chambre, cerné par les Rhinocéros – et les autres. Cela passe par un travail formel de présence des corps : jouer de face, se déplacer de manière orthonormée… Nous définissons des règles informelles afin de défiler tous ensemble sans tomber dans le martial.

Quels procédés utilisez-vous pour raconter, au-delà des mots, la solitude face à la furie collective ?
Nous cherchons à isoler Béranger par la mise en scène, faisant comme si tout se voyait à travers ses yeux. Nous prenons de la distance avec le réalisme théâtral afin de comprendre les choses par ses réactions, remettant ainsi à jour la diversité des états et des raisons qui font qu’on peut se rallier au nationalisme ou à tout autre extrémisme. Car il ne faut s’y tromper : au début de la pièce, les rhinocéros sont déjà là, même si on ne les voit pas. Le terreau est présent, comme autour de nous.


Au Théâtre de la Manufacture (Nancy) du 23 au 27 janvier
theatre-manufacture.fr

> Répétition ouverte jeudi 11/01 de 19h à 20h
> Samedi de la pensée avec Bérangère Vantusso et un chercheur autour de la pièce, samedi 27/01 de 17h à 18h30

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