Avec Hoover Hager Lassnig, la Kunsthalle Mannheim fait découvrir des femmes reconnues trop tardivement, dont l’empreinte marque le XXe siècle au fer rouge.
Formellement, l’exposition se présente sous la forme de trois monographies qui se déploient dans des espaces fluides, mais « des points de convergence relient les artistes comme un délicat fil d’Ariane », résume Johan Holten, le directeur de la Kunsthalle. Questionnant la place occupée dans le monde, le rapport à la lumière, au corps et à l’espace irrigue en effet les œuvres de plasticiennes qui ont aussi en commun de s’être intéressées très tôt au surréalisme. De délicats dessins des années 1960, signés Nan Hoover (1931- 2008), en témoignent, univers oniriques de corps enlacés jaillissant du subconscient. Récemment redécouvertes – et exposées pour la première fois –, des toiles pop aux teintes éclatantes prolongent le propos concentrant l’esprit libertaire des seventies, entre transe psychédélique, extase sensorielle et réflexion sur les relations de domination entre les sexes. C’est en 1973 que l’Américaine découvre la vidéo, dont elle sera une pionnière, au même titre que Bill Viola ou Nam Jun Paik : on reste ébahis devant ses installations minimalistes, jeux sur l’opacité et la transparence, l’ombre et la lumière qui transposent ses préoccupations picturales – elle n’a cessé de se définir comme peintre – dans un univers d’images mobiles métamorphosant le corps en paysage.
La passerelle est évidente avec Anneliese Hager (1904-1997), assurément la moins connue du trio : poétesse surréaliste, elle réalise de fascinants photogrammes – illustrant bien souvent ses recueils – pour lesquels elle utilise fragments de carton ou de cellophane découpés, morceaux de verre et de laine, ou encore grains de sable dispersés sur le papier photosensible. L’Allemande qui fut une des trois seules femmes à prendre part à l’exposition CoBrA d’Amsterdam, en 1949, laisse des compositions envoûtantes : des silhouettes de profil flottant dans des univers liquides voisinent avec des circonvolutions fuligineuses ou un visage à la saisissante abstraction se détachant dans le néant. Beaucoup plus célèbre est Maria Lassnig (1919-2014), qui clôture le parcours avec ses grands formats dans lesquels elle explore la conscience qu’elle a de son propre corps, expulsant sur la toile les sensations intérieures qui l’habitent. La peintre autrichienne livre des autoportraits explosifs : avec ses chairs acidulées nimbées de vert turquoise ou d’un jaune inquiétant, elle montre des corps torturés qui n’ont rien à envier à ceux de Francis Bacon. Si la référence à Egon Schiele est aussi patente, elle s’en écarte dans un art du tiraillement et de la douleur d’une extrême crudité faisant fi des lois de l’anatomie. Son théâtre de la cruauté occupe la toile, en coulures à vif et êtres hybrides, montrant tout ce qui hante son esprit.
À la Kunsthalle Mannheim, prolongée jusqu’au 28 avril 2024
kuma.art
> I am a painter regroupe des œuvres de Nan Hoover à la galerie Sebastian Fath (Mannheim) jusqu’au 16 décembre