Avec un spectacle où la vidéo se taille la part du lion, Cyril Teste transporte Fidelio de Beethoven dans une prison de haute sécurité.
Exit la prison située près de Séville, au XVIIe siècle, cadre souhaité par Beethoven (et ses librettistes Joseph Sonnleithner et Georg Friedrich Treitschke) pour son unique opéra. Cyril Teste installe son Fidelio dans une “supermax” qu’on imagine américaine, établissement pénitentiaire de très haute sécurité, où les détenus sont isolés et sans cesse filmés : « La lumière artificielle prive les prisonniers de la conscience du temps. Mémoire et identité se dissolvent dans un lieu où tous les gestes sont surveillés. Il n’y a aucun angle mort, à l’image d’une société où le hors champ n’est plus guère possible », résume-t-il. Ambiance death corridor… Dans cet univers glacé, métallique et aseptisé, se déploient des sentiments portés à l’incandescence et une musique parmi les plus belles, ici interprétée par l’Orchestre Dijon Bourgogne placé sous la direction de l’excellent Adrien Perruchon. Prisonnier politique, Florestan se fait bastonner dès l’ouverture, histoire sans doute de pointer l’inhumanité de tels espaces, dont Guantanamo est l’avatar le plus célèbre. Sept écrans immenses démultiplient l’action. Filmés en direct, les visages s’y montrent en très grand. Inquiétants. Ils se métamorphosent en murs d’images où les gardiens suivent l’action, comme le public. Outil d’oppression utilisé par des matons mateurs, la caméra peut aussi néanmoins se transformer en arme libératrice, plus puissante qu’un flingue.
Pour le metteur en scène, « le centre de gravité de l’opéra se trouve dans la résistance. La plus belle façon de résister passe par l’imposture. Léonore, l’épouse du captif, change son identité. Ce travestissement met tout le dispositif en défaut, puisqu’elle introduit en quelque sorte de la fiction dans un dispositif de réel, détournant le système par ce biais. Elle ne sort pas indemne de ce chemin initiatique, mais demeure intègre. » Figure féminine forte, cette Eurydice qui va chercher son Orphée aux enfers carcéraux – et qui l’en ramène – ne va « va pas faire sauter le système, mais le déprogrammer. Là se situe la différence entre la révolution et la résistance, même si on peut se poser la question de la fin » avec l’élargissement triomphal de Florestan par Don Fernando. Ce dernier « n’est-il pas un simple opportuniste qui reprend cette libération à son compte ? On pense alors à ces hommes politiques qui s’approprient un renversement de pouvoir pour en faire un instrument de pouvoir. »
À l’Auditorium de l’Opéra de Dijon du 8 au 12 novembre
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