Lorenz Adlon Esszimmer : rencontre avec le Chef Reto Brändli
Prodige helvète, Reto Brändli officie au Lorenz Adlon Esszimmer. Récompensée par deux Étoiles au Guide Michelin, sa gastronomie française classique fait sensation à Berlin.
Inauguré en 1907, l’Hotel Adlon fait partie de ces établissements qui ont façonné l’histoire de l’Europe : épicentre cosmopolite du Berlin des Roaring Twenties, le lieu était un des cœurs battants de la capitale. Bernhard Gunther, héros des romans de Philip Kerr, y fait même un passage comme responsable de la sécurité…. En mai 1945, un incendie détruit presque intégralement le bâtiment. L’aile survivante est brièvement utilisée par la RDA comme hôtel, avant de servir de foyer pour apprenties. Vétuste et insalubre, l’ensemble est rasé en 1984. Après la réunification, il est rapidement rebâti dans l’esprit des Années folles avec son incroyable fontaine de bronze ornée d’éléphants et de grenouilles. Rouvert en 1997, il redevient une des plus belles adresses d’Allemagne.
Depuis un peu plus d’un an, Reto Brändli a pris les rênes du vaisseau amiral gastronomique de la maison. Et le jeune trentenaire de détailler son parcours avec un délicieux accent Schwizerdütsch, évoquant une première expérience fondatrice au Waldhaus de Sils-Maria, sous la houlette de Kurt Röösli : « Il m’a appris les fondements de la cuisine classique française, mais aussi l’artisanat, car nous recevions des demi bœufs, des cochons, chèvres, sangliers, cerfs et autres agneaux entiers que nous découpions. » Ensuite, il est passé par (presque) tous les établissements qui comptent en Suisse, du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier – « Benoît Violier était un des plus grands chefs au monde » – au Schloss Schauenstein, où il découvre la nouvelle cuisine alpine d’Andreas Caminada. Mais son mentor se nomme Rolf Fliegauf : « Pour lui, le plaisir et la joie dans le travail sont les plus importants. Il m’a fait comprendre que l’essentiel est de ne pas se prendre au sérieux, tout en gardant une immense exigence », résume-t-il. Tout juste descendu des Alpes – où il avait décroché les deux Étoiles au Guide Michelin pour la Cà d’Oro du Grand Hotel des Bains Kempinski de Saint-Moritz –, il s’est emparé du piano du Lorenz Adlon Esszimmer en mai 2022, fascinant espace boisé hors du temps avec vue imprenable sur la Porte de Brandebourg.
« Ma philosophie prend pour fondement le classicisme à la française qui se voit piqueté de quelques influences asiatiques. J’ai conscience de ramer à contre-courant à Berlin, mais c’est cela qui me plait », s’amuse Reto. On craque ainsi pour une caille du volailler star de la Bresse, Jean-Claude Miéral, où la délicieuse sucrosité de la carotte communie dans un élan mystique païen avec la puissance des noisettes du Piémont. Hésitant entre deux sauces – l’une explorant la fraîcheur anisée de l’estragon, l’autre consistant en une Albufera d’anthologie qui plonge aux sources vives d’Antonin Carême et d’Auguste Escoffier – le volatile ferait perdre la tête au plus blasé des dîneurs. Il en va de même d’une sphère glacée de foie gras d’oie dansant le charleston avec une mousse de verveine citronnée et une compote de rhubarbe dans une alliance à la logique implacable. Et le sommelier Hans-Martin Konrad, dont la distinction distanciée – alliée à un immense savoir et un désir qui ne l’est pas moins de le partager – évoque celle du dandy de la musique qu’est Max Raabe, de proposer un époustouflant et opulent Riesling Goldloch du Weingut Joh. Bapt. Schäfer. Décidément plus proche des stars de la Forêt-Noire, comme Claus-Peter Lumpp (Bareiss) ou Torsten Michel (Schwarzwaldstube), que des expérimentateurs et autres agitateurs de la scène berlinoise – dont les casseroles sonnent parfois fichtrement creux – Reto Brändli fait des merveilles. Et si le classicisme redevenait trendy ?
Le restaurant Lorenz Adlon Esszimmer est situé dans l’Hotel Adlon Kempinski, Unter den Linden 77, (Berlin). Ouvert du mercredi au samedi, le soir uniquement. Menus de 250 à 290 €
lorenzadlon-esszimmer.de
> Avec Lorenz Adlon & Friends, Reto Brändli crée des menus exceptionnels à quatre mains, accueillant Patrick Mahler du restaurant focus Atelier du Park Hotel Vitznau (17/09) et Stefan Heilemann du Widder Restaurant de l’Hotel Widder, à Zurich (12/11)