Cinq questions à Raphaël Zarka
Le sculpteur (et bien plus encore) Raphaël Zarka, né en 1977, fou de skate, de musique punk et de formes obstinément géométriques, expose son travail “documentaire” au Frac Alsace. Rencontre avec un artiste observateur.
Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir plasticien, puis à pratiquer un art quasi scientifique ?
C’est une erreur de parcours. La seule chose qui m’intéressait au collège, c’était l’archéologie, mais fantasmée par un adolescent, à la Indiana Jones. On m’a suggéré d’intégrer une section Arts plastiques et Histoire de l’art. Le déclic a ensuite été la découverte du travail de Kurt Schwitters et de sa pratique presque documentaire du cubisme, courant qui m’a beaucoup intéressé dans mes jeunes années d’études. Schwitters m’a fait réaliser qu’être artiste, ce n’est pas forcément travailler avec ce qu’il y a en soi, mais autour de soi. Mon travail repose sur la sculpture, mais dans son champ élargi, prenant le biais de la photographie, de la forme fabriquée, du ready-made, du texte… Mes premières pièces sont les Formes du repos (des figures de béton parfaitement géométriques qui semblent avoir été posées par hasard dans le paysage et peuvent donner lieu à des répliques réalisées par l’artiste, NDLR), série photo commencée en 2001.
Vous prétendez douter « de la possibilité de créer à partir de rien »…
Je n’ai pas de position défaitiste ou nihiliste, mais je parle de mon propre cas, ne plaçant pas l’imaginaire avant toute chose dans ma démarche. Comme Georges Perec, qui disait ne pas avoir d’imagination et devoir donc travailler autrement. C’est aussi une constatation : la sensation de nouveauté ou de singularité est la conséquence d’une relative ignorance. Si tu te focalises sur telle forme de trait, sur telle composition, tu finiras bien par la retrouver ailleurs. Un écrivain comme Roger Caillois a une conception du monde en tant qu’unité, migration constante des formes et des idées. Je prends beaucoup de plaisir à chercher ces ramifications, la façon dont elles ressurgissent.
Vous travaillez en effet sur la survivance des formes dans l’histoire et l’histoire de l’art…
Mon travail est notamment marqué par la présence du rhombicuboctaèdre, un polyèdre semi-régulier, connu d’Archimède et qui réapparaît à la Renaissance dans les traités de mathématiques, les portraits, les cadrans solaires, l’architecture… C’est la forme que l’on voit dans ma première photographie, la première Forme du repos. Après, le processus de fascination et d’obsession s’est construit. Pour cela, il faut que quelque chose réponde à une histoire personnelle, comme le fait d’avoir découvert ce polyèdre de béton par hasard, au bord de la route, et d’avoir ensuite réalisé qu’il était mentionné dans un traité de perspective du XVe siècle. Pour reprendre une expression de l’historien de l’art Arnauld Pierre, c’est une sorte de travail “d’archéo-modernisme”, une archéologie de certaines formes du modernisme.
Le temps semble parfois donner un sens nouveau aux formes. Vous citez par exemple la Flamme de la Liberté, placée en 1987 sur le pont de l’Alma pour marquer l’amitié franco-américaine et utilisée depuis l’accident de Diana comme monument…
Tout le travail de Riding Modern Art (série de photos de skateurs sur des sculptures d’art moderne dans l’espace public, NDLR) parle de ça d’une certaine manière : des projets d’artistes qui réfléchissaient à l’idée de dynamisme, plus tard révélé par l’utilisation qu’en font les skateurs. Comme pour la Flamme de la Liberté, il y a une réappropriation collective et aussi une notion de vandalisme évidente. Mais ces personnes ne veulent pas détruire les choses, ils lisent ces espaces différemment.
Passionné par le skateboard [1. Raphaël Zarka est l’auteur d’Une journée sans vague : chronologie lacunaire du skateboard, 1779 – 2009 (B42 éditions)], vous vous penchez sur cette notion de réappropriation de l’espace public, mais aussi sur la forme même des skateparks où sont, en quelque sorte, “parkés” les skateurs…
Ce qui est m’intéresse dans les skateparks, c’est la logique de la réplique, une méthode que j’utilise fréquemment pour ce que j’appelle mes sculptures documentaires. Je reconstruis un objet qui préexiste pour le faire vivre en tant qu’œuvre. Pour les skateparks, c’est la même chose : la forme d’une piscine ou d’une canalisation géante est extraite, légèrement modifiée et reconstruite pour une utilisation différente. Est-ce par le skate que j’ai commencé à apprécier le mouvement punk ou antifolk ? Non, c’est le postulat de base du Do It Yourself : quand tu ne sais pas dessiner ou jouer, fais-le quand même. La question de la culture savante me met souvent en porte-à-faux avec le milieu rock, skate ou underground. À quelques exceptions près, il y a ce refus de la culture plus orthodoxe. Ce clivage est stupide. Les skateurs ont trop peur de la mise en mots alors qu’on peut faire de belles figures avec des idées.
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