Dany Laferrière et Wole Soyinka à Besançon et Nancy

Dany Laferrière

Un Académicien, Dany Laferrière, et un Nobel, Wole Soyinka, sont les têtes d’affiches des festivals de Besançon et Nancy. Deux tigres de la littérature prêts à bondir. 

« Le destin se forge avec les larmes au fond des yeux et des joies qui prennent à la gorge », chantait Aznavour. Des mots que ne renieraient pas Dany Laferrière et Wole Soyinka. Deux écrivains immenses, persécutés par des régimes autoritaires : celui de Papa Doc et de son rejeton Bébé Doc, à Haïti, pour le premier, condamné à l’exil pour échapper aux assassinats ciblés du régime. Le second a connu les geôles nigérianes, pour ses positions sur le Biafra, une condamnation à mort et l’exil sous la dictature d’Abacha, alors qu’il avait été le premier auteur africain couronné du Nobel, en 1986 .

Le poids des mots 

Début 2023, Dany Laferrière publiait chez Grasset un Petit traité du racisme en Amérique. L’Académicien à l’épée gravée du vèvè de Papa Legba, dévoile ces « vies fugaces qui peuplent [s]es nuits ». Celles d’icônes allant de Gordon Parks à Rousseau, d’Angela Davis à Tupac ou Fanon, de Maya Angelou à Toni Morrison, de James Baldwin à Ralph Ellison, sans oublier Miles Davis et Bessie Smith à laquelle il dédie l’ouvrage (comme à « cette Amérique blessée ») : la chanteuse « a toujours répondu à l’humiliation par une lamentation si belle qu’on n’a pas cru qu’elle souffrait ». Dans ses textes courts et percutants, nous retrouvons tout le piquant de son périple, au début des années 1990, au cœur des USA, immortalisé par l’un de ses plus beaux titres : Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? (réédité par Zulma en 2022). Deux décennies avant George Floyd, il y avait déjà Rodney King. En anecdotes faussement badines, démontrant un regard acéré sur la question raciale, mais aussi et surtout ses dimensions sociales et politiques, il tapait fort sur le système américain, les mirages de l’American Dream, les lignes de fracture toujours plus visibles entre riches et pauvres.


Dans son Petit traité, celui qui est le Président de la 8e édition de Livres dans la Boucle, à Besançon, virevolte avec brio et une franchise rare autour de tous les sujets brûlants que d’aucuns évitent royalement. Ainsi en va-t-il du mot Nègre (ce N-word qu’une partie du monde anglo-saxon refuse d’employer). Pour lui, « ce n’est pas le mot qu’il faut traquer / car il y a des gens qui savent / comment faire pour dire le contraire / de ce qu’ils pensent. » Surtout, les mots n’ont pas le même sens partout et de rappeler qu’en Haïti tout le monde s’appelle ainsi depuis plusieurs siècles. Au pays de l’Oncle Tom, les chaînes de l’usine ont remplacé celles de l’esclavagisme, les rendant simplement invisibles. L’auteur, installé de longue date au Québec, fait montre des saillies assassines qu’on lui connait, à propos du sexisme comme du racisme : « Quand une femme dit NON / vous devez arrêter / quand un NOIR dit « J’étouffe » / vous devez arrêter aussi. » Il rappelle d’ailleurs comment, aux États-Unis, les mères cherchent « à faire du jeune tigre qu’elles couvent un chaton dégriffé. La seule façon de lui éviter une mort violente. Et là encore, ça ne marche pas toujours. » Il y a le Chien blanc de Romain Gary et les « Chiens bleus » (les flics) tirant à tous les coins de rue, la « double conscience » théorisée par W.E.B Dubois. Mais Dany traque la bassesse dans tous les camps. Ainsi de la carte raciale dit-il, avec mordant, qu’il y en a « qui la sortent si souvent qu’on se demande s’ils ne la confondent pas avec une carte de visite ». Ce qui lui permet de se moquer allègrement du Ku Klux Klan et de son look vieillot avec des taies d’oreiller sur la tête, face à celui des Black Panthers, sexy en diable. Et de rire en imaginant « Le vieux nazi du Sud qui découvre dans la chambre de sa petite-fille, derrière la vieille armoire, le portrait de Malcolm X dont elle est follement amoureuse. La question de l’esthétique est centrale dans la vie des humains. » Un régal d’humour et de provocation. 

Le festival Livres dans la Boucle en vidéo © Café Gourmand Production

Le dernier bond du vieux tigre 

Militant forcené face aux dictatures de tous bords, Wole Soyinka déchira sa carte verte et quitta les États-Unis le soir de la victoire de Donald Trump. À quatre-vingt-neuf ans, son dernier roman prouve qu’il n’a pas fini de rugir. Voix singulière s’il en est depuis le Nigeria qui l’a vu naître, ou ses autres terres d’adoption, dès le début des années 1960 l’intellectuel s’oppose vivement à la négritude de Césaire. Il lui préfère la « tigritude », car « un tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore ! » Au Livre sur la place de Nancy (10/09, Salle Poirel, à 11h30, édition présidée par Christiane Taubira), il donnera un grand entretien autour de Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, qui parait en français en cette rentrée, au Seuil. Une satire politique au style foisonnant, décrivant par maintes histoires entrecroisées la source d’un système étatique, politique et social pour le moins vicié. Le Nigeria fictif qu’il y dépeint regorge de charlatans, de trafiquants spirituels, d’imposteurs ferraillant dans les coulisses du pouvoir où la corruption est un art de vivre. Dans ce qui prend les atours d’un polar, la réussite d’une enquête visant à mettre fin aux agissements d’une société secrète, unissant politiciens et religieux de premier plan vendant des organes humains, passe au second plan. Car les différentes strates de la population dont il dresse un portrait patient, joueur et joyeux – même s’ils sont souvent accros au fondamentalisme et à sa cohorte de gourous moitié voyous, moitié illuminés –, semblent bien loin d’y trouver à redire. L’ironie du titre de l’ouvrage ne manque pas sa cible, cherchant l’humanité là où elle est la plus oubliée, noyée dans la soif de pouvoir, de biens, de réussite et de grandeur. 


Livre sur la place (Nancy) du 8 au 10 septembre
lelivresurlaplace.nancy.fr 

Livres dans la Boucle (Besançon) du 15 au 17 septembre
livresdanslaboucle.fr 

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