Marc Desgrandchamps et ses Silhouettes
Immenses toiles, polyptyques et dessins : les Silhouettes de Marc Desgrandchamps arpentent son corpus récent.
Acteur majeur de la contemporanéité, Marc Desgrandchamps illustre le retour en grâce de la peinture. S’il est célèbre pour ses coulées de couleur – comme si la matière, trop liquide, avait dégouliné par endroits, provoquant un réseau aqueux et coloré – force est de constater que ses ruissellements se sont taris depuis une dizaine d’années, sans que son esthétique de l’évanescence en soit bouleversée. C’est sur ses œuvres récentes que se concentre une exposition construite thématiquement, où se déploient des pièces comme Un Matin du temps de paix. Une femme, en train de photographier un lac avec son téléphone, semble traversée par le paysage. Silhouette diaphane, elle se fond dans le grand bleu – une teinte que l’artiste décline avec une jubilation visible – illustrant la fragilité de nos existences. Derrière les apparences paisibles d’une scène banale se dissimulent ainsi des abîmes, ou tout au moins des incertitudes. La paix, présente dans le titre de l’œuvre, pourrait en effet laisser place à la guerre : la quiétude de cette scène datée de 2022 n’est-elle pas à mettre en relation avec le fracas des bombes en Ukraine ?
Plongeant ses pinceaux dans l’histoire de l’art, le peintre dialogue avec des icônes comme Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, en donnant une version d’une grande fluidité, ou glisse une statue grecque dans une toile, jouant avec les temporalités. Le caractère précaire et transitoire de souvenirs personnels – une des sources à laquelle il puise, tout comme les clichés de presse – entre alors en collision avec quelque chose de l’ordre de l’éternel. Chez Marc Desgrandchamps, les paysages sont fragmentés, tandis que les figures humaines se déploient dans l’imperceptibilité, formes translucides et fragiles. Paradoxalement, cette dissolution confère aux personnages – nos contemporains – une puissance accrue. Acquis par la Ville de Dijon, le diptyque Sans Titre (2020) concentre les préoccupations de l’artiste : dans un espace architectural convoquant celui de La Flagellation du Christ de Piero della Francesca, deux silhouettes féminines d’aujourd’hui aux visages indistincts, Smartphones dégainés et New Balance aux pieds pour l’une, contemplent une statue antique acéphale, au drapé diaphane. Au loin, l’autre figure, minuscule, observe la scène depuis une fenêtre. Au regardeur d’imaginer la narration qui sous-tend cette scène énigmatique mixant les époques, qu’on aurait tendance à considérer comme une réflexion sur l’incommunicabilité à l’ère numérique. L’Homme y est plongé dans un éternel présent tout d’ombre, où les lumières du passé sont irrémédiablement éteintes. Mais, sans doute, est-ce trop simple…
Au Musée des Beaux-Arts de Dijon jusqu’au 28 août
beaux-arts.dijon.fr
> En écho est présenté Dia-logues au Musée Magnin (Dijon, jusqu’au 28/08) rassemblant des estampes de l’artiste – musee-magnin.fr