De Memphis à Memphis
Depuis plus de trente ans, au sein de Carte de séjour puis en solo, il concilie rock et raï, Oum Kalsoum et Bashung, Farid El Atrache et les Clash. Zoom sur Rachid Taha, en concert à Schiltigheim dans le cadre du Festival Strasbourg Méditerranée.
Admirateur de John Wayne, Taha, Stetson sur la tête, dégaine et tire (à blanc). Bang bang ! Le cowboy du bled balance des “rockettes” arabopunk sur la Douce France qui ne peut s’empêcher de remuer du popotin en écoutant Ida et ses trompettes mortelles, Ya Rayah, donnant une irrésistible envie de s’essayer à la danse du ventre, ou Rock El Casbah, relecture du tube des Clash qu’il jouera en compagnie de Mick Jones himself, un de ses héros. Rachid Taha est un artiste sans passeport ni visa (confère les paroles des Artistes), sans carte d’identité française (« Je viens de faire la demande… Il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis »), sans dieu ni maître. À la lecture de la Bible ou du Coran, il conseillera plutôt d’aller boire un verre en bonne compagnie. Peut-on réconcilier les peuples autour d’une bouteille ? « Bien sûr que oui : comme dit l’écrivain persan Omar Khayyâm, le vin c’est la porte de l’autre ! » affirme-t-il. Si le musicien refuse de s’incliner devant quelque idole, il a cependant un panthéon personnel en haut duquel trônent Pasolini ou Elvis. Le spectre du King plane sur son dernier album, Zoom – envisagé comme la rencontre entre Memphis (Tennessee) et Memphis (Égypte) – grâce à une étonnante relecture de son Now Or Never, slow du crooner Presley s’appuyant sur la mélodie du standard napolitain O Sole Mio. Un duo masculin / féminin avec Jeanne Added, une jolie reprise sous forme de dialogue bilingue, en anglais et en arabe.
Son message fraternel est clair. Nul besoin de longs discours : l’artiste engagé, doucement destroy mais jamais enragé, préfère réconcilier les contraires le temps d’une chanson et crier son indignation sur les dance-floors. À l’heure où certains se radicalisent, se raidissent, se renferment, d’autres, comme lui, s’ouvrent au monde, font des Sèlu (salut) à tout va, inventent des endroits où se rencontrent les pôles et imaginent des grandes fêtes fusionnelles. Vingt ans après exactement, le chanteur reprend son hymne antiraciste et dansant Voilà Voilà qui clôt son nouveau disque : une manière de dire que le combat (rock) n’est pas fini. La version 2013 du titre produite par Brian Eno (ex-Roxy Music, pape de la musique ambient), réunit (dans le clip) des personnalités aussi différentes que Mick Jones (« on partage les mêmes idéaux ») et Agnès b., Camélia Jordana et Éric Cantona, Rachida Brakni et Femi Kuti. Rachid est un type accueillant et généreux, jamais avare en Bonjour (titre de son précédent album) et en Salamaleïkoum. « Si tu veux faire l’amour avec quelqu’un, autant lui ouvrir les bras, non ? », s’amuse celui qui aime s’entourer des êtres qui lui sont chers. Même des fantômes : avec Zoom sur Oum, il s’autorise un duo impossible en utilisant la voix samplée de la diva égyptienne Oum Kalsoum, « le temps d’une mélopée ».
Né à Oran à la fin des années 1950, cet « Oriental désorienté » qui se considère plus alsacien qu’algérien passa une bonne partie de son enfance à Sainte-Marie-aux-Mines, lieu de sa « deuxième naissance ». Aujourd’hui célébré dans l’Hexagone et un peu partout dans le monde (chose plutôt rare pour un artiste français), Rachid continue à assaisonner le rock à la sauce orientale et à métisser les sonorités Made in Medina à l’electro ou la pop. Il relie les continents dans une évidence : « La musique a toujours été mélangée. Le rock’n’roll vient d’Afrique et je ne fais que de la cartographie musicale. »
03 88 83 84 85 – www.ville-schiltigheim.fr Festival Strasbourg Méditerranée, dans différents lieux à Strasbourg, du 30 novembre au 14 décembre 03 90 40 49 70 – www.strasmed.com