Nicolas Kerszenbaum plonge au Cœur des ténèbres
S’inspirant du célèbre roman de Joseph Conrad, Nicolas Kerszenbaum invite les spectateurs du CCAM à une déambulation en forêt, au Cœur des ténèbres.
Dans le crépuscule naissant, rendez-vous est donné pour une excursion pas comme les autres. Une cinquantaine de spectateurs tout au plus, munis de casques HF, suivent un comédien équipé d’un micro pour une marche entre arbres et broussailles convoquant « nos cauchemars d’enfance en partant d’un lieu connu, une forêt, qui se transforme la nuit venue au milieu de ses bruits ». Nicolas Kerszenbaum adapte la longue nouvelle de Conrad « dans un lent mouvement fluvial, proposant un travelling opaque et cauchemardesque des rives du fleuve Congo ». Celle-là même qui inspira Francis Ford Coppola (inoubliable Marlon Brando en colonel Kurtz, crâne rasé et corps massif dans la semi obscurité d’Apocalypse Now) ou Orson Welles avant lui. Ce roman initiatique en forme de longue avancée dans une nature hostile propose un face à face avec soi-même, sauvage, fascinant et consumant. « Nous sommes aux prises avec l’inconnu absolu, une expérience métaphysique de l’altérité qui ne se nomme pas et peut vous broyer », confie le metteur en scène.
Cœur des ténèbres joue de l’écart concret « entre le fantasme végétal du texte et la forêt familière » de cette déambulation guidée. L’intrigue n’est pas celle transposée au Cambodge en pleine Guerre du Vietnam par le cinéaste américain, mais bien dans cette fin du XIXe siècle des conquêtes coloniales de l’empire belge, dans la nature hostile et vierge où les compagnies du royaume exploitent avec leurs comptoirs le caoutchouc et l’ivoire. Parti de Londres par la Tamise, Marlowe est envoyé à la recherche de Kurtz qui ne donne plus de nouvelles. C’est sa confrontation à la violence, l’hébétude, la bêtise, la paresse qui nous est contée. Un voyage au plus profond du capitalisme, ses massacres, son avidité, les feux chimériques de sa domination. Entre chien et loup, des pauses musicales, mélangeant bio-sound capté dans la jungle et version chantée par Cécile Maitre du IIIe acte de Tristan und Isolde de Wagner, rythment cette traversée des tourments de l’âme humaine se perdant dans un chant de sirène annonçant – déjà ! – le déclin de la civilisation occidentale ! « Avec le comédien Nicolas Gonzales, nous travaillons sur le principe des poupées russes, Conrad se cachant derrière Marlowe pour raconter son propre voyage dans cette Afrique colonisée, lui faisant rencontrer Kurtz… Guidant par le son de sa voix, il disparaîtra littéralement pour les spectateurs, pour mieux réapparaître en habit colonial ou devant un monolithe à la Kubrick. Nous plongeons ainsi dans la tête du romancier avec ce côté rimbaldien plein de gros plans délirants, un peu comme ces papiers japonais qui s’ouvrent une fois dans l’eau et se déploient dans les formes imaginées par leurs créateurs. »
Dans une forêt des alentours de Nancy du 21 au 29 juin (lieux, dates et horaires exacts seront précisés ultérieurement) en partenariat avec Scènes et territoires en Grand Est
centremalraux.com – scenes-territoires.fr