La BD du réel à la BNU
Guy Delisle, Joe Sacco, Mathieu Sapin… À la BNU, une riche exposition se penche sur La BD du réel, explorant les récentes évolutions du neuvième art, devenu une nouvelle forme de journalisme.
Un parcours d’une belle densité retranscrit comment les auteurs de BD se sont emparés de la réalité, se métamorphosant notamment en journalistes, histoire d’ouvrir un nouvel espace narratif, qu’il soit autobiographique, documentaire ou fictionnel. La visite démarre avec les récits fondateurs, qui composent une véritable matrice : Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa, Maus d’Art Spiegelman ou encore Le Photographe, géniale série où textes, photographies et dessins se conjuguent pour retracer le parcours d’une équipe de MSF aux confins de l’Afghanistan. La suite de l’exposition est thématique : dans une section intitulée Témoignages, parcours individuels au service de l’Histoire se déploient ainsi les superbes et émouvantes planches composées par Coco dans Dessiner encore, voyage intérieur pétri de délicatesse narrant le long chemin de sa reconstruction après les attentats ayant décimé la rédaction de Charlie Hebdo.
Impossible de citer tous les (nombreux) auteurs accrochés aux cimaises de la BNU, de Florence Cestac à Catherine Meurisse, en passant par Laurent Galandon et Damien Vidal, qui restituent la lutte de 329 jours des ouvriers de l’usine Lip de Besançon en 1973, en utilisant la destinée de Solange, employée dans la manufacture horlogère. Dans ce même chapitre – Investigations, fouiller l’histoire – se découvrent les planches du projet hors normes de Joseph Béhé : avec Et l’homme créa les dieux, il compose un essai / roman graphique & philosophique volumineux, adaptant le texte de l’anthropologue Pascal Boyer (professeur à l’Université Washington de Saint-Louis), qui explore les ressorts du sacré et le lien unissant l’Homme à la religion. Portraits (le très beau Ainsi soit Benoîte Groult de Catel), fictions au service du réel, comme Quai d’Orsay de Christophe Blain, ou reportages sur le terrain, à l’image du sublime Voyage aux îles de la désolation d’Emmanuel Lepage – dont les originaux ici accrochés possèdent une intense puissance d’évocation –, illustrent les mutations à l’oeuvre chez certains bédéistes. Parmi eux, on garde une immense tendresse pour Mathieu Sapin – issu, comme beaucoup d’autres ici exposés, de l’atelier d’illustration des Arts déco de Strasbourg –, créateur de multiples BD / reportages d’anthologie : de Campagne présidentielle à Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu, en passant par Comédie française, il mêle avec grande finesse enquête journalistique et charmante fantaisie.
À la Bibliothèque nationale et universitaire (Strasbourg) jusqu’au 25 juin
bnu.fr
> Visites commentées les jeudis à 17h et les samedis à 11h
> Tables rondes sur le thème Fictions réalistes, l’histoire au service de l’Histoire avec Anne Teuf, Nicolas Wild et Tehem (10/05, 18h) et BD engagée : quelle place pour le 9e art dans le débat politique avec Catel Muller, Coco et Etienne Davodeau (26/05, 18h)
> Conférence de Jean-Paul Meyer, Shoah et bande dessinée : le passage du témoin (16/05, 18h30)