Baro d’evel est Là

© François Passerini

Pièce iconique de la compagnie Baro d’evel, réunit un couple d’humains et leur corbeau pie. Cet ovni théâtralo-circassien trace la poétique de sa traversée des sentiments en noir et blanc.

En langue manouche, “baro devel” peut prendre les atours d’un juron. Une sorte de Nom de Dieu polysémique dans son usage qui, selon la symbolique gitane, peut aussi servir à nommer tout ce qui dépasse l’Homme : les nuages, la pluie, le ciel… mais aussi Dieu. Le duo franco-catalan à la tête de la compagnie depuis 2006, composé de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, trace un sillon où les échos du monde se tournent vers des tentatives – souvent désespérées – de s’unir et de se comprendre en mêlant cirque, chant et musique. Les puissantes rêveries auxquelles ces deux artistes circassiens nous convient, l’un porteur, l’autre voltigeuse, se peuplent d’animaux, de renversements intimes, d’amour à réinventer, de bosses à panser.

Baro d'evel : Là © François Passerini
Baro d’evel : © François Passerini

se déploie sur un plateau nu, devant une immense page blanche en forme d’écran à trouer, et sur lequel tracer ce qui déborde. Tout y semble réduit à l’essentiel. Le corps d’un homme, celui d’une femme, le noir de la peinture et le blanc du papier, une seule et même solitude poignante, l’attraction qui déplace, modifie, transforme. Attire aussi et change à jamais, encore et encore. Tisse les liens amoureux et intime, le trouble de l’altérité dans un ballet étrangement envoutant de mots et de signes, de chants et de gestes, de corps habités et abîmés. Et au milieu vole Gus, corbeau pie bicolore, compagnon fantastique d’acrobaties, de vacillements. Cet animal non-humain magnétise l’attention, entièrement tournée vers l’instant présent. La dramaturge Barbara Métais-Chastanier raconte cette sensation mystérieuse de croire « reconnaître quelque chose de notre monde, de nos amours, de nos combats et de nos défaites, mais le miroir s’est brisé, l’image est – comme chez les surréalistes – « explosantefixe », elle nous tend d’autres traits que ceux que nous croyions avoir. »

Au bord de la chute, proche de l’envol, l’improbable trio avance en séquences à ressentir sans les comprendre forcément. En apparence, le concret de ce qui se joue importe peu. Mais la forêt de signes déployée infuse, décante. Les scènes souvent énigmatiques qui se succèdent touchent l’âme pour mieux l’emporter vers des confins inexplorés, mais pourtant familiers. « C’est le monde d’avant la catastrophe et celui qui lui succède, c’est la fin d’une histoire d’amour et sa réinvention timide, c’est une tribu d’hommes-animaux qui débarque et une guerre clanique sur le départ… » L’engagement physique en corps-à-corps avec la matière, la puissance d’images et la délicatesse de leur réception. Le cri et la parole, les gestes qui pleuvent pour tenter de surmonter ce qui advient.

Baro d’evel :

À La Filature (Mulhouse) du 3 au 6 mai, dès 7 ans
lafilature.org

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