Chambre avec vue

C’est un des albums les plus étonnants de la rentrée : avec Fenêtres sur rue, Pascal Rabaté nous invite à la contemplation de la vie quotidienne dans quatre immeubles. Réjouissant.

De prime abord, l’objet surprend. Il s’agit d’un leporello, un “livre accordéon” dont les pages, en se dépliant, nous offrent une pièce sans paroles en vingt tableaux (dix journées et dix soirées). Le décor ? Quatre immeubles d’une terrible banalité : treize fenêtres, un balcon, une laverie automatique et un bistrot. Pascal Rabaté (également cinéaste, on lui doit notamment Les Petits ruisseaux) propose une plongée dans le “théâtre du quotidien”… Un clin d’œil au mouvement né dans les seventies (autour de figures comme Jean-Paul Wenzel ou Michel Vinaver) dont l’objectif était de « raconter la vie des gens en ne passant pas par-dessus la tête des gens », selon la définition du metteur en scène Michel Deutsch qui s’applique parfaitement ici.

La colonne vertébrale de l’affaire est résumée au début de l’album par quelques mots (les seuls du livre) : « C’est un travail à plein temps de regarder à la fenêtre, de surveiller, de guetter… D’ailleurs, retournons-y… Il ne faudrait pas rater quelque chose ». Les références ?  Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock évidemment. On croise du reste le cinéaste déambulant dans la rue et un habitant visionne frénétiquement ses films, le jour. De nuit, ce sont les réalisations de Jacques Tati – autre figure tutélaire clairement assumée qu’on rencontre dans cette étonnante rue, quelque part entre l’absurde et la poésie  – qui passent sur sa télé. Un peintre regarde son modèle, nue, le pinceau à la main, un couple s’embrasse, un enfant part à l’école, deux chiens aboient, se dressant l’un contre l’autre… L’Alph’Art du meilleur album 2000 (pour le volume 2 d’Ibicus) dissèque nos existences avec sensibilité… entraînant aussi son lecteur (qui doit faire preuve d’un grand talent d’observateur et savoir prendre son temps) vers des rivages plus sombres. Un meurtre est commis au cœur de la nuit. Mais en est-on bien sûr ? Rêve ou réalité ? C’est aussi dans cet entre-deux onirique que cet habile exercice de style séduit…

Fenêtres sur rue est paru chez Soleil (18,95 €)
www.soleilprod.com

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