Avec Gurlitt. Un bilan, le Kunstmuseum Bern se plonge dans le contexte d’acquisition des chefs-d’œuvre légués par le collectionneur.
Une femme au regard frondeur, les sourcils froncés (Frauenkopf III, 1912), une gravure sur bois aux profils aquilins sous un ciel étoilé (Mann und Weibchen, 1912) ou encore une aquarelle chevrotante à l’encre noire (Steg mit Mühle) sur laquelle un moulin se découpe dans un ciel sombrant sous un bleu nuit menaçant. Ces trois œuvres d’Emil Nolde, comme la petite, mais ô combien sublime représentation de chevaux tout en courbes tendues et racées, dans un paysage à l’aquarelle et au crayon blanc de Franz Marc, dont l’équilibre est stupéfiant (Pferde in Landschaft, 1911), font partie des joyaux du testament de Cornelius Gurlitt, dont le Kunstmuseum Bern découvre, à sa mort à l’âge de 81 ans en 2014, qu’il est l’unique légataire. Un cadeau pour le moins… empoisonné ! Et pour cause, une équipe internationale de chercheurs, mise en place par la République fédérale d’Allemagne et l’État libre de Bavière, enquête sur la provenance douteuse des 1 500 œuvres, dont une partie aurait été achetée par le marchand d’art Hildebrand Gurlitt (père de Cornelius) à l’époque des spoliations du régime national-socialiste.
Le musée met en place un “département de recherche de provenance” destiné à retracer les acquisitions successives de chaque œuvre. Dans les années d’après, deux toiles de Matisse et Libermann sont rendues aux descendants de leurs propriétaires légitimes, suivies depuis d’un Pissarro, d’un Signac et de deux aquarelles d’Otto Dix. Cette exposition bilan présente près de 350 pièces mêlant une partie du legs à des reproductions de documents historiques d’Allemagne, de France et de Suisse, issus du fonds écrit de Cornelius Gurlitt, conservé aux Archives fédérales allemandes. L’accent est mis sur les questions éthiques et politico-juridiques que l’histoire de la spoliation des années 1930 et 1940 soulève encore aujourd’hui, l’institution suisse étant de celles à la démarche la plus volontariste en la matière. Une chose est sûre, Gurlitt avait un sacré goût. Si l’on dit souvent que William Turner a inventé le brouillard, un certain Claude Monet n’est pas en reste. En témoigne un Waterloo Bridge, temps gris (1903), appartenant à la quarantaine de toiles qu’il a peintes de l’ancien pont détruit depuis par la guerre. Ou encore la Montagne Sainte-Victoire (1897) de Paul Cézanne dont la roche tire sur le bleu violacé, un sabbat d’Emil Nolde dansé à la bougie, la poitrine à l’air (Kerzentänzerinnen, 1917). On en pince pour la femme nue et le chat circonspect d’Ernst Ludwig Kirchner (Nackte Frau im Wald, 1921) et sa Melancholie de 1922, qui montre la chair triste d’un couple. Leurs mines de petite mort post-coïtale sont aussi superbes qu’emplies de tristesse.
Au Kunstmuseum Bern jusqu’au 15 janvier 2023
> Visite guidée en français dimanche 4 décembre à 11h30