L’Ososphère, ce sont bien sûr deux nuits de transe electro et de convulsion joyeuse des corps, mais pas que : Rencontre avec Thierry Danet, directeur d’un festival protéiforme et engagé.
Vous avez créé L’Ososphère en 1998. Quel est l’ADN de cette manifestation devenue l’un des événements phare de la vie culturelle strasbourgeoise ?
Dès le départ, il s’agissait d’accompagner les dynamiques profondes à l’œuvre dans la société, selon trois axes principaux : musical, artistique et politique. La techno était en plein essor et nous voulions créer un contexte propice à son expression. Dans les années 1990, une soirée electro, c’était 3 ou 4 espaces scéniques minimum – une revendication très importante, qui cherchait à mettre le spectateur au centre de la fête, refusant de lui imposer un programme défini pour lui offrir au contraire la liberté de déambuler au gré de ses envies. Quant aux DJs, ils étaient loin encore d’être reconnus comme de vrais artistes : tout juste des gens bons à pousser des disques ! [Rires] En outre, nous étions, parallèlement, à l’aube d’une formidable révolution technologique, et l’idée était de donner de la place aux arts numériques balbutiants (sonores comme visuels). Enfin, cela s’articulait parfaitement à cette volonté, commune à toute l’équipe de La Laiterie Artefact, d’aller au-delà du simple festival de musique pour accompagner la mutation urbaine de Strasbourg. C’est cela au fond qu’interroge tout le projet : qu’est-ce que “faire ville ensemble” ?
Et ce nom étrange alors, il vient d’où ?
Il est inspiré des biosphères implantées au début des années 1990 dans le désert d’Arizona, où des scientifiques s’enfermaient pendant des mois pour tenter de reconstruire un écosystème artificiel et mener des expériences. L’idée, pour nous, est de créer, à travers le festival, comme une bulle de ville rêvée, intercalée entre la réalité actuelle de notre quartier et tous les possibles qui peuvent s’offrir aux habitants. Un espace public idéal. L’Ososphère est un lieu de dialogue ouvert à tous, qui permet de questionner autant que faire se peut nos façons d’habiter, de vivre, de faire, de voir… dans l’espoir que tout cela ait des résonances par la suite et influence la fabrique de la ville. C’est une tentative sans doute naïve, mais à laquelle nous voulons croire.
Concrètement, que mettez-vous en place pour créer cet “espace public idéal” ?
On investit complètement le quartier Laiterie, en ouvrant et restaurant un jardin abandonné où un collectif d’artistes monte – avec l’aide des habitants – son projet d’arts hybrides, en animant une radio en direct, en installant sur les places et dans les rues des espaces pour que les gens se retrouvent, une exposition in situ ouverte jour et nuit pour susciter les échanges et la réflexion, une boîte aux lettres pour envoyer des cartes aux voisins, un café conversatoire, des Labs, etc. Et puis… on met un peu de musique aussi ! [Rires]
Justement, parlez-nous de la programmation des Nuits électroniques : comment l’avez-vous pensée, après deux ans d’éditions annulées ou réduites ?
On veut remettre la ville à danser ! Le line up des deux Nuits (avec leurs quatre dancefloors) a été entièrement conçu dans cet esprit festif. On y retrouve à la fois des artistes relativement nouveaux dans le circuit, comme par exemple Hysta ou Mila Dietrich, et des références, tel le grand Jeff Mills, pionnier du genre et de l’Underground Resistance à Détroit, qui a tant milité pour que cette fête existe dans les années 1980. Sans oublier les joyeux énergumènes de la fanfare de techno allemande Meute, qui feront l’ouverture d’une édition clamant haut et fort un right to party retrouvé et revendiqué !
Avec près de vingt-cinq ans au compteur, le festival a accueilli la crème de la techno, tant nationale qu’internationale… Certains sets vous ont-ils marqué plus que d’autres ?
On en a vécu des moments inoubliables, c’est vrai ! Je me souviens qu’au début, en 1999 je crois, on avait programmé Richard D James d’Aphex Twin. Il avait annulé en dernière minute plusieurs autres dates en Europe et, pour être honnête, on ne croyait plus trop à sa venue. Finalement, il est arrivé… et cet abruti a joué tout son set accroupi derrière les platines – finissant même par jeter du sable dessus –, si bien que personne n’a cru qu’il était présent. [Rires] Mais, je le jure, il était là ! Il s’est même servi de la soupe juste avant moi dans la file au catering !
Au Quartier Laiterie (Strasbourg) du 23 septembre au 2 octobre
ososphere.org
> Au programme des Nuits électroniques (23 & 24 septembre), sont à retrouver, entre autres : Meute, Fakear, NTO, Breakbot Irfane, Mila Dietrich, DJ Vadim ou Camion Bazar le vendredi et Jeff Mills, Billx, Casual Gabberz, Roman Poncet, Lola Palmer, Traumer ou encore Hysta le samedi