Black béton et mistral rouge
Il est l’architecte français dont tout le monde parle. Gueule de métèque et accent provençal revendiqués, gouaille de loubard et insolence de poète jetés à la face du politiquement correct, Rudy Ricciotti met les gants et publie L’Architecture est un sport de combat, pamphlet brocardant le minimalisme anglo-saxon et les éruptions non maîtrisées d’écoquartiers.
Depuis six mois, il est partout, des plateaux télés aux ondes radios. D’inaugurations en débats, son art de la formule fait mouche. Après son « voile libéré » flottant au-dessus de la cour Visconti pour coiffer le département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre, son Musée des Civilisations pour l’Europe et la Méditerranée [1. Lire De la planète Mars, interview de Rudy Ricciotti parue dans Poly n°151] sur le Vieux Port illumine Marseille-Provence 2013. Détonnant dans le paysage policé de l’architecture, Rudy Ricciotti cultive son genre à part : un amour à mort pour le béton et un art savamment entretenu d’empêcheur de penser en rond. L’Architecture est un sport de combat [2. Hommage à Pierre Carles suivant « la pensée en mouvement » de Bourdieu dans La Sociologie est un sport de combat, documentaire sorti en 2001] regorge ainsi de saillies lyriques et de petites phrases assassines au service d’une épopée architecturale qui est avant tout « une aventure politique à facettes multiples – théorique, sociale, esthétique –, étroitement imbriquées pour armer le travail de l’architecte. C’est une culture du combat qui ne vise pas le consensus. »
Salafisme architectural
Dans des villes-monde dominées par d’identiques murs blancs et sols gris, « un même horizon trace les contours d’un univers, quasi carcéral, véritable caricature de Playtime de Jacques Tati ». L’architecte marseillais accule dans les cordes l’hégémonie anglo-saxonne du minimalisme qui s’est répandu dans notre village global, « sponsorisé par une économie dopée à la culture du chiffre ». Et d’amocher, en crochets successifs, le style dominant chez les décorateurs (« Un voyage Art déco post-moderno-fluo-aztèque ») et l’uniformisation des nouvelles architectures qui « colonise les habitudes et abrutit les cervelles ». Symbole de notre appauvrissement : « En 1930, il y avait 100 mots pour décrire une façade. Aujourd’hui, une dizaine. Si l’on a perdu les mots, on a perdu les signes associés. Et avec ces signes, les savoir-faire, ce qui fait de nous des analphabètes de l’art de construire. » L’estocade n’est pas loin, à la jonction du pragmatisme commercial des entrepreneurs et décideurs, du minimalisme utilitaire et de la soumission aux dogmes high-tech et écologiste, tout entier résumé et contenu dans une formule très zémourienne : le « salafisme architectural », les extrémistes religieux rejoignant les architectes dans une même haine de la figure et des signes.
Brèves de comptoir
Si ce premier corps à corps plus que séduisant augure de belles promesses, n’est pas Mohammed Ali qui veut, aussi à l’aise en tchatcheur face caméra qu’en direct du droit. Et au petit jeu de l’emballement de verbe, Rudy Ricciotti se perd en coups bas mal sentis : sa critique véhémente des Christ en barbelé d’Adel Abdessemed auquel il reproche une absence de prise de risque comparée à celle de prendre Mahomet pour modèle frôle le ridicule, l’œuvre étant un écho direct au retable d’Issenheim. Quant à sa vision des détournements de l’univers du manga chers à Takashi Murakami dont « le caractère crypto-pédophilique du propos, franchement limite, [l]e dérange et n’est révolutionnaire que dans le territoire des névroses – et encore ? », elle ressemble plus à une brève de comptoir qu’au symptôme d’un art contemporain qui se viderait de sa substance en coopérant de manière « pernicieuse avec les préceptes esthétiques de la globalisation ». La provocation fait partie du jeu. Ali l’avait bien compris et Rudy déclenche « simplement des tensions par plaisir, comme on mettrait un peu de piment dans un plat. Ça arrache la gueule mais c’est bon. »
Coup du roi
On préfère le combattant des matériaux peu chers et disponibles partout sur la planète (sable, eau et ciment) pour un béton qui modèle ses visions d’architecture charnelle (le musée Jean Cocteau à Menton, ode à ses traits déliés) où se dévoilent la peau et les os (le Pavillon noir à Aix-en-Provence, pour Angelin Preljocaj). Le pourfendeur du régionalisme, « cette autre version de la globalisation » qui fait façonner une banalité écrasante. Fuyant tous les dogmes, il charge les écoquartiers, futures « “cités” de demain » où sont troqués « un bénéfice de solidité contre une réversibilité douteuse » dans une fascination irréfléchie de l’écologie. Tout en pourfendant le diktat high-tech sévissant parmi ses confrères [3. Rem Koolhaas (auteur du remarqué Junkspace – Repenser radicalement l’espace urbain, Manuels Payot, 2011) en prend pour son grade], avides de ces « “médiacités” multifonctionnelles en forme de couteau suisse mêlant commerces, loisirs, culture, médias… », Ricciotti rêve du « coup du roi » cher à Pagnol, le double shoot de bartavelles avec une seule balle : l’architecture radicale pourvoyeuse d’un supplément d’âme. À 60 ans, notre « anarcho-chrétien » n’a toujours pas renoncé à changer la vie. Pratiquer la désobéissance technologique est le dernier acte libertaire de cet architecte debout, prêt pour le prochain round.
Boîte à musiques
La BAM – Boîte à musiques imaginée par Rudy Ricciotti – sort lentement de terre, sur le boulevard d’Alsace, au cœur du Grand Domaine de Metz-Borny. Elle sera dédiée aux musiques actuelles avec une salle de concert à gradins rétractables faisant osciller la jauge de 400 à 1 200 places. Avec ses salles de répétition dernier cri (dont un studio-scène permettant de reproduire les conditions d’un concert), une coque de béton blanc animée d’une myriade de percements aléatoires destinés à « empêcher tout aveuglement de l’équipement alors même que l’environnement porte déjà en lui l’héritage d’une architecture de la sévérité poussée à son paroxysme ». Ainsi, les salles intérieures profitent des rayonnements en faisceaux provenant de toutes les directions alors que la nuit, le bâtiment s’éclaire de couleurs aux tonalités changeantes. Ouverture prévue début 2014.
www.bam-metz.fr
01 58 51 52 00 – www.citechaillot.fr
www.rudyricciotti.com