Au bord du ruisseau des origines
Du retour en 2012 dans son Congo natal, vingt-trois ans après son départ pour l’Europe, Alain Mabanckou tire Lumières de Pointe-Noire. Un carnet de voyage autobiographique, confrontation intime d’un émigré avec les siens, ode dénuée de cynisme à une Afrique mystique et traditionnelle. Rencontre [1. Retrouver l’entretien qu’il nous a accordé ici].
En 2007, Alain Mabanckou signait avec quarante-trois autres écrivains le manifeste pour une « littérature monde »[2. Pour une littérature-monde, ouvrage collectif sous la direction de Jean Rouaud et de Michel Le Bris, Éditions Gallimard – www.gallimard.fr], réactualisation audacieuse de la francophonie. Lui qui commençait à avoir passé plus de temps en France et aux États-Unis – où il enseigne la littérature francophone à l’Université de Califronie-Los Angeles – que sur le continent africain s’engageait pour l’universalité de la littérature de langue française, combinant origines et influences, renvoyant à la face même des gardiens du temple la simple francophonie géopolitique.
Le poète et essayiste dont les romans précédents donnaient corps aux frasques des hommes de son enfance (Verre Cassé, 2005) et aux séducteurs sapés (Black Bazar, 2009) signe un récit touchant, s’ouvrant sur une faille : celle d’un fils qui, longtemps, mentit sur le sort de sa mère, refusant sa disparition en 1995. Incapable de se rendre à ses obsèques, comme à ceux de son père adoptif, dix ans plus tard. Partir, c’est cheminer avec des fantômes cachés au fond de soi pour partenaires. Dans Lumières de Pointe-Noire s’égrènent les souvenirs d’enfance au Congo, dans le village de Louboulou puis, dans la rue du même nom à Pointe-Noire où il retrouve « le château de [s]a mère », une cabane en bois bouffée par les termites. La confrontation avec le présent se teinte des couleurs du passé, des traditions et coutumes du pays. Décalage de vie, trajectoires modifiant l’être au plus profond de lui-même si ce n’étaient les traces laissées par le rituel initiatique de Tonton Mompéro lui faisant rencontrer son double animal – un faon – en pleine brousse… Alain Mabanckou se retrouve dans les mots d’un autre Congolais, Jean-Baptiste Tati-Loutard [3. L’Envers du soleil, Éditions L’Harmattan, 1970] :
« Je traîne à la queue d’une tribu perdue
Comme un animal des savanes hanté
Par le rythme d’un autre troupeau…
Il prend alors envie de se mettre au bord du temps
D’errer par les veines obscures de la terre
Où cheminent, dans l’apaisement de mille souffrances vécues,
Des pauvres que la mort a couverts d’oubli… »
Nous retrouvons avec lui les figures masculines de ses romans : le grand frère Yaya Gaston, héros de Demain j’aurais vingt ans, devenu alcoolique, Grand Poupy, le cousin dragueur à la coupe afro très Blaxploitation ou encore tonton Matété respectant les rites anciens en recueillant son urine pour la mettre en brousse, là où son double animal le reconnaitra. Entre les flopées de neveux, nièces et autres membres de la famille plus ou moins intéressés l’assaillant de demandes de cadeaux ou d’argent, l’écrivain témoigne des batailles entre prostituées zaïroises et ponténégrines du Quartier des trois-cents, refusant le sexe sans préservatifs, mais aussi du rôle de la France et de l’Angola dans la guerre civile ayant déchiré le pays. Autant de « mythologies contemporaines remplaçant celles fondées sur les ancêtres et les traditions », confie-t-il. « Les femmes justifient ainsi leur statut de prostituées, un escroc recrée une histoire dans l’histoire de la guerre congolaise pour se victimiser et que je lui paye son repas. Ces mythologies sont arrivées avec le Cinéma Rex, aujourd’hui remplacé par une église évangéliste et, donc, par de nouvelles mythologies ! » La vie suit son court, pleine de choses surprenantes.