Pour sa 5e édition, la Biennale de la photographie de Mulhouse (BPM) tourne son regard vers le ciel étoilé. Sa directrice artistique, Anne Immelé, évoque la fascination qu’exercent sur nous les corps célestes.
En dix ans, la Biennale s’est imposée comme un temps fort culturel à Mulhouse. Comment expliquez-vous ce succès ?
La ville a un vrai passé lié à la photographie. Dès le XIXe siècle, le novateur Adolphe Braun y a fondé la maison Braun & Cie (1853), une entreprise pionnière, qui commercialisait ses tirages au charbon ou à l’albumine de natures mortes, panoramas et autres reproductions d’œuvres d’art dans le monde entier. Dans les années 1970, la galerie du Centre d’action culturelle de la ville (AMC) s’est inscrite dans cette lignée, avec une programmation orchestrée par Paul Kanitzer. Une orientation que poursuit aujourd’hui la Galerie de La Filature… La BPM a permis de fédérer autour de cet art les énergies des différents acteurs culturels de la cité et du territoire transfrontalier dans lequel elle s’inscrit.
Cette 5e édition se place sous le signe des “Corps célestes”…
Au départ, nous sommes partis de la question des origines. Au fil des recherches et de la réflexion, nous nous sommes rendus compte que la fascination humaine pour le cosmos était au cœur du travail de nombreux artistes. L’idée de “corps céleste” a émergé, fascinante de par ses multiples sens. En français, le terme désigne les astres, mais peut aussi renvoyer, de façon poétique, voire métaphysique au corps sublimé.
La quête des traces reliant notre corps fini à l’univers infini est d’ailleurs au centre du travail développé par SMITH, guest-star de la programmation…
L’œuvre de cet artiste complice de La Filature est emblématique de ces enjeux. Son projet intitulé Désidération, développé en collaboration avec l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan, s’efforce en effet de penser le corps à partir d’un autre absolu : le cosmos. Alors qu’en même temps cet autre est aussi en nous, dans la mesure où les atomes qui nous constituent proviennent des molécules transportées par les météorites. Ce dont le photographe témoigne lui-même très bien, lui qui s’est implanté dans le corps une capsule contenant de la poussière cométaire !
Certains des travaux présentés renvoient à la question de savoir d’où l’on vient. D’autres se demandent ce qu’on voit ?
C’est le cas, par exemple, de Manon Lanjouère, dont les images proposées sur le parcours des berges de l’Ill interrogent notre perception historique du ciel au-delà de la voûte céleste, de ce cosmos invisible à l’œil nu, qui nourrit nos fantasmes de conquête depuis des siècles. La photographie est regard, et avec son Laboratoire de l’Univers, la jeune femme reconstruit à partir des écrits scientifiques du XIXe une sorte de catalogue imaginaire de l’évolution des visions de ces mondes lointains. Exposées au Kunsthaus L6 de Fribourg-en-Brisgau, les installations d’Angela Bulloch sont quant à elles basées sur des algorithmes, que l’artiste utilise pour créer des vues de l’univers à partir de perspectives extra-terrestres, rappelant l’image réductrice que nous en avons depuis la Terre.
Pourquoi intégrer à cette édition “astrale” les portraits de l’Américain Matthew Genitempo ?
J’ai découvert son travail en 2019, à la publication du livre Jasper. A priori, ses clichés d’ermites ayant choisi de vivre au fond des bois, totalement séparés de la société, n’ont rien à voir avec les “corps célestes”. Pourtant, il y a dans ces portraits quelque chose de la connexion primordiale de l’Homme avec la Terre dans ce qu’elle a de plus tellurique. Ce n’est pas le corps qui regarde vers l’ailleurs du ciel, mais plutôt celui qui se tourne vers notre propre planète.
Dans un registre très différent, la plasticienne Penelope Umbrico interroge la production photographique elle-même, à l’ère d’Internet…
Elle est en effet célèbre pour ses travaux sur les flux d’images de couchers de soleil et de lune. Everyones’photo any licence a ainsi été conçu en tapant le mot clé “Full moon” dans la barre de recherche du site de partage Flickr. D’un côté, on a la mosaïque de clichés obtenus, dont la répétitivité formelle hypnotique fait écho à la fascination humaine pour les astres ; de l’autre, la compilation des métadonnées afférentes (noms des auteurs, types de licence, etc.), qui réinjecte du personnel dans un corpus uniformisé.
Vous l’avez aussi invitée à concevoir une œuvre collaborative inédite : Moon Gazers…
Nous avons proposé aux habitants de la région de nous envoyer leurs photographies de la lune. À partir des quelque 500 clichés reçus, Umbrico a imaginé une composition présentée sur cinq panneaux à Hombourg. C’est une œuvre symbolique puissante, qui instaure comme une étrange “société des regardeurs de lune”.
Dans divers lieux de Mulhouse, Hombourg, Thann et Fribourg-en-Brisgau du 10 juin au 10 juillet
biennale-photo-mulhouse.com