Des furies à soi : Pôle Sud et son festival Extradanse

Ezio Schiavulli, Heres : Nel nome del figlio, Compagnie Ez3

Peu épargné par les annulations pour cause de Covid ces derniers mois, Pôle Sud tourne la page avec son festival Extradanse, mêlant pointures internationales et artistes talentueux de la région.

Comme un pied de nez aux deux années qui viennent de s’écouler et à la fermeture forcée des lieux culturels, Ezio Schiavulli fait aujourd’hui éclore Heres : Nel nome del figlio (Au nom du fils, 05 & 06/05, Pôle Sud), pièce imaginée durant les confinements. « Lorsque les villes étaient totalement figées et congelées, j’avais la chance de répéter dans les espaces de travail des diverses structures du réseau Grand Luxe1 », se souvient le chorégraphe vivant un pied en France, l’autre en Italie. Il avait 40 ans en 2020, l’heure d’un bilan. « L’âge où céder quelque chose pour être en mesure de recevoir. D’accepter ce qu’on nous lègue et ce qu’on ne nous lègue pas pour transmettre à son tour. » À mots couverts, c’est la figure du père qu’il interroge. Éclairé par la lecture du Complexe de Télémaque du psychiatre Massimo Recalcati. Ezio a toujours été “le fils de”, grandissant à côté de Nino, batteur renommé. Rien d’étonnant donc à le retrouver entre deux batteries dans cette création qui réunit Dario De Filippo et Elvire Jouve. « Elle donne le son le plus rock, tapant encore et toujours, quand Dario est plus doux, apportant de la rondeur aux sonorités », assure, ravi, le danseur. D’autant que rien n’a été évident. Pour accompagner Dario, il flashe d’abord sur le jeu de la S.H.A.M.A.N.E.S.2 Anne Paceo, dont le planning de tournée et les multiples collaborations sont alors suspendus. Elle accepte, enthousiaste, de composer avant que la reprise des concerts n’entrave sa présence sur toutes les dates. Elle lui glisse alors le nom d’Elvire Jouve, adoubée par toute l’équipe.

Une Paire du Père

Au départ, il avait bien demandé à son père de jouer dans la pièce, ce dernier se contentant pour toute réponse de lui donner l’une de ses paires de baguettes. La musique aura toujours été comme un obstacle entre eux depuis le refus de lui enseigner la batterie, à l’adolescence. « Notre histoire est celle d’une recherche de lien empêchée. Heres : Nel nome del figlio représente mon moyen de boucler la boucle de tout cela », confie-t-il. Comme face à son paternel, Ezio se retrouve en minorité à danser et gérer l’espace face au challenge imposé par deux musiciens au bagage rythmique puissant. Si les instruments sont sublimés, rehaussés sur des pieds à roulettes pour mieux les faire tournoyer, son corps en subit le poids, se mouvant comme il peut en-dessous. Il finira par se relever et les regarder en face, conscient de ses fragilités et difficultés, prêt à laisser tomber cette rage qui l’habite. Entre absence et conflit, chaque batteur le repousse et le ramène dans un jeu d’attraction / répulsion dessinant un chemin dépassant la violence initiale pour toucher à la poésie des gestes. Son corps s’anime de bouffées d’air salvatrices, et se défait de la gangue accumulée depuis tant d’années. Il faut bien déposer les armes pour continuer de vivre.

Échos du Monde

Contrainte au report au mois de janvier, Sarah Cerneaux pourra enfin présenter Either Way 3 (12 & 13/05, Pôle Sud). Dans ce qui est son premier solo, elle tente de peler les couches de temps et de travail déposées par les chorégraphes ayant façonné son corps depuis tant d’années pour trouver sa propre voie. Extradanse prendra des couleurs brésiliennes avec les venues de Lia Rodrigues et Volmir Cordeiro. La Fúria (03 & 04/05, Théâtre de Hautepierre) de la sexagénaire dévale les pentes de la favela de Maré où est installée de longue date son école de danse. Revisitant le mythe des furies (divinités des Enfers) qu’elle mêle à une critique en règle de la violence apportée par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, elle montre des corporalités suppliciées. Une rage convulsive accompagne les membres inertes, fauchés en plein vol. L’hyper expressivité sur scène tient du message politique. Passé par la compagnie de son aînée avant de rejoindre la France, Volmir Cordeiro représente, lui, la nouvelle génération. Dans Trottoir (10/05, Pôle Sud), il essaie d’effacer l’identité des corps en recourant à des collants-peaux gorgés de couleurs, couvrant jusqu’au visage. Electro et batucada en fusion donnent des airs de block-party à ce spectacle exposant des typologies de personnages dont il s’agit de déconstruire les normes et de travestir les codes, afin de renouveler un “nous” collectif.


À Pôle Sud et au Théâtre de Hautepierre (Strasbourg) mais aussi au Point d’eau (Ostwald) jusqu’au 19 mai
pole-sud.fr

1 Huit structures (Grand Studio à Bruxelles, CCN – Ballet de Lorraine à Nancy, Ballet de l’ONR à Mulhouse, Pôle Sud à Strasbourg, Trois C-L à Luxembourg, Theater Freiburg à Fribourg-en-Brisgau, L’Abri à Genève et Onassis Stegi à Athènes) forment un comptoir d’échanges artistiques au service de l’accompagnement de chorégraphes émergents – grand-luxe.org

2 Titre de son dernier album, voir Poly n°245

3 Lire Poly n°142 ou sur poly.fr

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