Aux portes du mâle avec Jacques Vincey au TNS

Photo de Christophe Reynaud De Lage

Le venin des Serpents de Marie NDiaye ne quitte plus Jacques Vincey qui porte à la scène cette pièce où « se télescopent impressions organiques et atmosphère fantastique ». Entretien avec le metteur en scène.

Est-ce la fin de cette pièce, rebattant totalement les cartes, entre cauchemar et destins tragiques, qui vous a saisi ?
Bien sûr, les dernières scènes sont incroyables, mais avant cela, le début m’avait déjà happé. C’est rare d’être conquis de la sorte et pas par l’histoire à la situation très triviale : une belle-mère venant demander de l’argent à son fils, se retrouvant devant France, sa femme, qui l’empêche d’entrer. Le tout compliqué par l’arrivée de l’ancienne épouse, Nancy, devant une maison où se terre l’homme. Ce sont les sensations,dès les premières pages, l’ambiance de chaleur, de maïs,d’euphorie pré-14 juillet… Ce concret qui entre en résonance
avec du symbolique. Le cheminement vers la dernière scène nous oblige à nous raconter une histoire. L’autrice instille un venin qui nous fait gamberger et renvoie à notre imaginaire. L’organique se double de dimensions symboliques et psychanalytiques riches et singulières, qui forment une coexistence de réalités superposées. Comme une perception ouverte du monde et de ce qui nous dépasse, les Hommes étant « mis aux portes du ciel », comme disait Genet.

À quels indices visuels nous raccrochez-vous ? Avez-vous choisi un lieu en métropole, une île française, un coin de Louisiane ?
La question de l’image est première, la scénographie s’anticipant beaucoup. Les sensations sont omniprésentes : images de champs de maïs, canicule, touffeur, soif, excitation d’avant le feu d’artifice. Il convenait de ne pas écraser les imaginaires, ni de tomber dans l’abstrait coupant le public du sensible. Nous avons travaillé avec les outils primaires du théâtre : le son et la lumière. Des PARs* éclairent latéralement les comédiennes depuis le plateau. Ils les chauffent même, et claquent lorsqu’ils montent en intensité, amenant une sensorialité très
juste. Cela découpe et tranche dans les visages. Quant au mur de la maison, il est composé d’enceintes gigantesques. Tout ce qui est derrière, voix de l’homme et bruits, vibre en infra basses et demeure invisible. Il faut faire confiance à la langue de Marie NDiaye qui active déjà fortement les imaginaires.

Comment composez-vous, avec Hélène Alexandridis, le personnage terrible de la mère, aux abois par manque d’argent au départ mais se révélant finalement celle qui veille sur la maison, dans un pacte terrible avec le fils ?
Hélène est une comédienne qui avance pas à pas, se laissant emporter avec beaucoup d’intelligence et d’intuition. Notre cheminement vers la fin, qui demeure mystérieuse, nous impose de choisir pour nous raconter quelque chose au plateau. Après cette ellipse temporelle, que protège-t-elle dans cette maison qui nous reste interdite, qui avale comme un tombeau ? Ce personnage est très lourd à porter, il demeure dans une constance par rapport aux autres femmes de la pièce. Elle a fait le choix de la raison. Elle est comme une dent dévitalisée, là en apparence mais dont le nerf, ce qui fait mal et rend vivant, n’est plus.

Dans ces personnages, nous pourrions reconnaître un Ogre et Cerbère, gardien des Enfers…
J’ai monté il y a une bonne dizaine d’années Madame de Sade de Yukio Mishima. Six femmes s’y retrouvaient dans un salon pour parler de ce monstre embastillé. Au-delà du statut de cet homme affreux et de ce qu’il symbolise pour elles, il permet de mettre des mots, de créer une histoire racontant des angoisses et des gouffres qui nous traversent tous. La dimension de conte de fée est un outil pour rendre acceptables des peurs qui, si elles n’avaient pas de représentation, seraient indépassables. Les femmes de ces deux pièces ont le besoin vital de se raconter des choses pour vivre.


Au Théâtre national de Strasbourg du 27 avril au 5 mai
tns.fr

* Projecteurs à réflecteur parabolique aluminé

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