Le héros était presque parfait
Après Robin Hood et Lemon Jefferson[1. Voir chroniques dans Poly n°134 et 147 ou en cliquant ici], Simon Roussin, diplômé des Arts déco de Strasbourg en 2011, signe un western pour ados au feutre et un superbe polar graphique en noir et blanc. Rencontre avec un auteur talentueux, à suivre de près.
D’où vient Heartbreak Valley, polar entre chien et loup en forme de road trip pendant la plus longue éclipse de l’histoire de l’humanité ?
C’est un projet que je traîne depuis mon année de diplôme aux Arts déco. J’ai dessiné les premières pages pour la revue Nyctalope[2. Un excellent magazine dédié à l’illustration et la bande dessinée, porté par Marion Fayolle, Matthias Malingrëy et Simon Roussin – http://nyctalope-magazine.blogspot.fr], sachant qu’elles amèneraient à une histoire plus large. L’idée était de plonger dans un genre en sortant de la technique du feutre utilisée jusqu’alors et en changeant de système de narration. On retrouve les principaux archétypes du polar noir : bagnard, bagnole, détective privé, voix-off intérieure…
Les feutres aux couleurs criardes sont remplacés par un dessin au trait. Comment avez-vous travaillé ?
Les originaux sont faits de contours au trait sur papier, imprimés en deux tons direct (noir et gris) plus ou moins superposés afin d’obtenir différentes nuances de gris et de noir. Je n’ai jamais fait que du feutre, notamment dans des affiches ou pour la presse, mais c’est une technique qui marque les gens. Ici, je voulais assumer un trait, un récit plus sombre.
Eliot Parsley est comme souvent dans vos BD, une sorte de héros face au mythe qu’il représente …
Cela vient de mon goût pour les histoires aux héros flamboyants comme Ivanhoé, Indiana Jones ou Belmondo mais aussi d’un amour total pour les anti-héros des westerns crépusculaires cassant cette figure admirée de tous. Mes personnages sont extrêmes dans leurs actes et dans leurs pensées mais c’est aussi ce qui les rend attachants.
Caché derrière ses lunettes noires, le privé d’Heartbreak Valley est dans une quête désespérée pour retrouver la belle Jenny Moore, dont il est tombé amoureux sans la connaître. Les femmes sont rarement à l’honneur dans vos albums. Un brin de misogynie ?
On me le dit souvent mais ce n’en est pas. Heartbreak est construit comme un film noir des années 1950 où les femmes sont souvent fatales, manipulatrices et meurtrières. Cela participe de la démystification des personnages masculins, manipulés par des femmes sources de désespoir. Mais les mecs autours sont souvent des minables ! Ça équilibre (rire). Rassurez-vous, je soigne ma misogynie et bientôt, un personnage féminin sera au centre d’une histoire. Pour tout avouer, j’ai aussi toujours éprouvé plus de difficulté à les dessiner, du coup je leur réservais de plus petits rôles…
Où avez-vous puisé votre inspiration pour Eliot, qui semble tout droit sorti de La Mort aux trousses : lunettes noires, costard avec cravate au nœud lâche…
Il vient d’un hommage à Roy Orbison, chanteur maudit des sixties que j’ai découvert il y a peu, explorant sa vie et son œuvre en bon monomaniaque. Il fallait donc que mon personnage ne quitte pas ses lunettes et que l’histoire possède une dimension mélodramatique et tragique. Je me suis rendu compte, mais cette fois au milieu de cette BD, qu’Eliot avait des réminiscences de Ray Banana, le personnage de Ted Benoit.
Une atmosphère étrange à la Twin Peaks, pleine d’humour noir, se dégage d’Heartbreak Valley. Le personnage de l’évadé, dézinguant tout sur son passage, ressemble étrangement au héros de Robin Hood…
C’est vrai qu’il en a la carrure et la mâchoire carrée. J’aime l’idée de réminiscences naissant entre mes livres. Lemon Jefferson était quasiment une série B, simple succession de rebondissements formant un tout. Ici, je voulais travailler comme une voix off, en décalage avec le temps de l’action. Le récit se veut plus sombre et sérieux, gardant l’humour noir d’un premier degré très assumé devenant du coup un treizième degré hyper drôle.
Le résultat graphique est époustouflant, les ombres se déversant sur les pages pour englober le lecteur…
Il n’était pas question de faire un simple récit en noir et blanc. Il me fallait un clair obscur fortement contrasté avec des gris limités qui a l’air vieillot. Il contient une âpreté collant au récit. L’impression avec un gris sous certains noirs crée un jeu d’ombre subtil, ma manière à moi de relever le défi de raconter une histoire dans l’obscurité qui reste lisible.
Vous sortez aussi Le Bandit au colt d’or. Pas vraiment un western pour enfants avec sa violence, sa cruauté, ses problèmes moraux et l’absence d’happy end !
En effet, au départ c’était prévu pour les enfants mais les westerns que j’aime sont durs et lyriques. L’histoire s’est décalée pour les jeunes ados.
Pourquoi choisir de faire un livre-illustré, pour sortir du rapport texte / image de la BD ?
Le western est mon genre préféré et je voulais en dessiner un depuis des lustres. Mais après toutes les BD comme Blueberry, je n’y arrivais pas et le texte-illustré m’a décomplexé. J’ai choisi de travailler au feutre mais en poussant la technique dans des formats plus grands, des doubles pages très picturales avec des paysages flamboyants. J’ai découpé le récit de manière à ce que les images n’illustrent pas simplement le texte mais racontent d’autres choses.
On sent que vous avez pris plaisir à vous frotter aux scènes du genre : attaque de diligence, duel, chasse à l’homme…
Il n’était pas question de créer un récit moderne ou sentimental de manière déguisée. Je voulais mettre sur pied une tragédie familiale, un grand western avec de la neige, des forêts, un trappeur, des outlaws…
On y suit les trajectoires opposées de deux frères à la mort de leurs parents. L’un tournant bien, l’autre devenant le bandit le plus recherché de l’Ouest. Vous aimez bien malmener vos héros…
Je n’arrive pas à faire autrement ! Même quand je veux être drôle, ça finit de manière tragique. C’est mon style : pousser le plus loin possible les situations que je crée me permet d’accéder à quelque chose de “vrai”. Ce premier degré assumé devient sérieux et amène de grands questionnements, tout en restant modestes car trop gros pour êtres vrais. J’aime que les choses ne soit pas simplement sérieuses.
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