Freaky pop picture show : Interview de La Femme sur son 3e opus Paradigmes
Cinq ans après Mystère, le vrai faux groupe pop La Femme revient avec Paradigmes, mélange d’entrain et de total accablement. Rencontre avec Sacha Got, le chanteur-guitariste bien coiffé du duo.
Comment vous est venu le titre de ce troisième album ?
On est tombés par hasard sur le mot “paradigme” avec Marlon Magnée [l’autre membre fondateur du groupe, NDLR], un soir où on était foncedés. On a trippé dessus – comme on le fait souvent –, parce que ça sonnait comme “paradis” mais avec un côté bizarre et énigmatique à la Boris Vian. Et puis ça sonne très La Femme.
« Les masques tombent pour célébrer le néant et la folie », chantez-vous sur le morceau d’ouverture. Un titre qui résonne fort avec la situation actuelle…
C’est une coïncidence assez dingue. En réalité, les quinze chansons ont été composées avant la pandémie. Comme quoi, on est des visionnaires [rires] !
Comment qualifieriez-vous cet opus ?
Touffu et éclectique. C’est un best of de tout ce qu’on sait faire. Nous composons énormément, tout le temps… Nos disques durs sont pleins de chansons où l’on mélange les genres et tente des croisements. On adore faire ça ! Avec les années, nous avons également progressé dans la production. Pour moi, c’est notre album le plus pointu et sophistiqué jusqu’à présent.
Casser les paradigmes, c’est votre message ?
On aime casser les codes, être là où on ne nous attend pas, quitte à écorcher les oreilles des puristes. Je comprends que ça puisse en énerver certains de nous voir débarquer pour s’approprier des styles musicaux comme ça, mais ce côté touche-à-tout permet de ne jamais se répéter et de garder l’enthousiasme intact. Marlon et moi sommes des grands passionnés de musique et on est totalement décomplexés par rapport au fait de piocher dans la longue histoire de cet art.
Comment choisissez-vous les genres à investir ?
Un peu par hasard, au fil des rencontres. Par exemple, quand j’étais à Memphis, on m’a fait écouter des morceaux de country que j’ai adorés. J’ai creusé à fond l’histoire de ce genre, écouté quantité de titres, tout décortiqué, jusqu’à pouvoir en donner ma propre version. C’est ce qui a donné les pistes un peu “western” de cet album. Même chose pour la musique orientale : je me suis plongé dans les chansons turques des années 1970 et m’en suis nourri pour créer Va. C’est un processus long : il ne s’agit pas seulement de livrer notre interprétation d’un genre, il faut encore le mêler à d’autres influences pour apporter notre patte. Va, c’est de la musique turque, des textes en français et une touche yéyé à la France Gall.
Vous passez beaucoup de temps sur un morceau ?
Énormément. Le processus de création est long, laborieux et minutieux. Nous sommes ultra perfectionnistes. Rien n’est laissé au hasard, tout est pensé dans le moindre détail. C’est une grosse prise de tête en vrai !
Sur Disconnexion, vous vous moquez des discours pseudo profonds des philosophes…
C’est étrange, souvent les gens pensent que je me fous de leur gueule alors que pas du tout en fait [rires] ! En ce qui concerne ce morceau, il s’est construit par étapes. Au début, j’avais une instru très Blondie, à laquelle j’ai ajouté un banjo enregistré à Memphis. Et puis en regardant des vidéos de philosophes sur Youtube, je me suis retrouvé à sampler un type bègue qui posait une question à la fin d’une conférence de Michel Onfray. Je l’ai posé sur l’instru pour délirer et ça marchait vraiment bien. J’ai alors écrit un texte en reproduisant le bégaiement dans l’écriture : « Je, je, je, je pense que le, le plus grand problème de l’Homme, c’est d’éprouver sans cesse un désir d’expansion », etc. Disconnexion est un assemblage de tout cela, avec des synthés ambiance space opera pour accentuer la bizarrerie du truc. Mais je tiens à dire que le discours n’est pas si absurde quand on le lit avec attention [rires] !
Une autre façon pour vous d’aborder le monde est de développer une atmosphère fantastique, peuplée de monstres, vampires et nymphes…
C’est un pan de notre univers, mais pas le seul. La chanson Où va le monde sur notre précédent opus, par exemple, est très terre à terre, ancrée dans la réalité chiante de la vie. Il y a toujours ces deux pôles dans notre musique, qui sont aussi les deux faces de la même monnaie qu’est la vie humaine : la banalité du quotidien et la fantaisie des rêves. Et puis ça permet de faire des clips façon Rocky Horror Picture Show plutôt cools, qui changent des groupes en T-shirts blancs perchés sur un toit d’immeuble !
Vous avez conscience d’avoir lancé une nouvelle vague de groupes pop français grâce à votre succès ?
C’est vraiment une bonne chose que le français ait été remis au goût du jour et que les artistes se réapproprient leur langue. Le temps où tout le monde chantait en anglais, allait manger au Mc Do et rêvait de vacances à New York est révolu. De nos jours, des groupes comme Altın Gün, Tinariwenn ou La Femme tournent partout dans le monde en chantant en turc, tamashek ou français. C’est l’autre face de la mondialisation !
À L’Autre Canal (Nancy) – Date du samedi 22 janvier reportée au dimanche 24 avril, à la Laiterie (Strasbourg) jeudi 27 janvier et à l’Alhambra (Genève) samedi 26 mars
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Édité par Disque pointu / Born Bad Records / IDOL
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