Festival Jazzdor : Ébullition jazzistique

Photo de Sélène Saint-Aimé par Nikola Cindric

À l’écoute du monde, le jazz semble en fusion permanente : fidèles reflets de cette effervescence, les 36 concerts de la 36e édition du festival Jazzdor dressent un attachant panorama du genre.

Quand on aime, un rendez-vous qui saute décuple l’envie pour le suivant. Faut-il rappeler que Jazzdor n’a pas eu lieu en 2020 ? Nous sommes heureux de redécouvrir ce phare s’ouvrant par la grâce de Sophia Domancich seule au piano (05/11), la science de la mélodie bouleversante avec elle. Artiste discrète qui a derrière elle quarante ans de carrière, le prix Django Reinhardt de musicien français de l’année en 1999, elle en a sous le capot. Pensons à cette mélancolie qu’elle rappelle dans Django ou La Trébuchante, morceaux essentiels du Grand jour, son nouvel opus. Voilà un début de festival dans l’apaisement et l’intime, des territoires qu’elle explore avec clarté, sûre de son chemin, ouvrant le nôtre à sa lumière. Dans un autre registre, Kepler (06/11) se construit sur une idée fixe, déroule des variations sans bouleverser son paysage, comme une forêt aux mille arbres d’apparence similaire si l’on ne s’arrête pas pour les scruter. Les rares notes de ce trio formé par Julien Pontvianne (sax ténor, clarinette), Adrien (sax ténor) et Maxime Sanchez (piano) touchent au sublime. Les unissons laissent à l’auditeur le temps de découvrir une texture sonore bien palpable et d’entendre distinctement les trois éléments de cette richesse de timbres. Kepler existe pour emmener un seul son jusqu’au bout. Ses membres décrivent leur projet comme « une musique de chambre dans l’esprit », lente et minimaliste. Ils déploient une intensité qui pousse au recueillement, à une manière de faire le vide intérieur à mesure que le son se propage dans l’espace.

EXPLOSIONS SONORES

Et quand ça explose, les clichés – s’ils en restaient – sautent. Le jazz, musique d’ascenseur ? S’il vous plaît ! La violence que dégage le trio formé par le batteur Sylvain Darrifourcq, le saxophoniste Manuel Hermia et le violoncelliste Valentin Ceccaldi (09/11) endosse des traits fiévreux et punks. Souffle incandescent, culte transe, leur musique secoue et transporte sans que l’exutoire n’empêche l’hypnose. Voilà précisément le genre d’expérience à laquelle l’écoute sur scène donne tout son sens. Sorti il y a un an et resté plutôt confidentiel, leur album Kaiju Eats Cheeseburgers se démarque largement d’une production hexagonale pourtant riche. La même année, Sélène Saint-Aimé (13/11), jeune contrebassiste de 26 ans, a lancé sa discographie avec brio. Mare Undarum a eu les honneurs des médias, avant de valoir à sa créatrice une Victoire du Jazz dans la catégorie “révélation”, il y a quelques semaines. Preuve que l’audace et la personnalité paient. Du saxophoniste américain Steve Coleman, chercheur-gourou et figure centrale du genre depuis vingt ans, elle dit « qu’il a forgé [s]a façon de penser : toujours apporter le meilleur, ne pas être légère sur le rythme et l’harmonie ». Avec lui, la contrebassiste s’est rendue à Cuba, où elle a assisté à des cérémonies traditionnelles de santerÍa, religion omniprésente sur l’île. Elle a ensuite séjourné seule au Maroc, pour étudier la musique gnaoua. S’il existe des points communs entre les deux, ils se trouvent dans les racines africaines, dans la préséance laissée aux rythmes et dans un goût pour la transe. Sélène Saint-Aimé y a pioché ce qu’elle voulait pour faire de la musique à sa sauce. Sa teneur est poétique, entre déchirements au violon et thèmes grandiloquents au sax et à la trompette. Quand elle pousse la voix, c’est notre gorge qui se serre. Et quand elle déclame de la poésie, on en oublie notre réticence pour le spoken word.

CLASSIQUES DU FESTIVAL JAZZDOR

Quelques indétrônables (Michel Portal, Joelle Léandre ou Bireli Lagrène) ont associé leur nom à celui du festival Jazzdor. Philippe Ochem, son programmateur, ne s’en cache pas, sa fidélité à certains artistes a contribué à donner une identité au festival. « J’ai toujours défendu le temps long », nous confiait-il, il y a quelques années. Avant d’ajouter : « C’est beau de voir un projet au début, quand on sent qu’il y a une musique en train de se construire, puis de le voir évoluer. » Passés de découvertes à habitués en quelques années, le pianiste Roberto Negro que l’on entendra avec Michel Portal (18/11) et le toujours surprenant violoniste Théo Ceccaldi (16/11) qui présentera Kutu, un projet d’éthio-jazz, en sont de beaux exemples. Le festival entretient en partie cette mécanique en invitant les lauréats du dispositif d’accompagnement Jazz Migration, dont les concerts sont gratuits. Outre Kepler, cité plus haut, la Litanie des cimes (11/11) et YOU (16/11), un élégant trio folk entiché de musiques réunionnaise et irlandaise, valent le détour.


À la Cité de la Musique et de la Danse, au Fossé des Treize, à Apollonia, etc. (Strasbourg), mais aussi à La Filature (Mulhouse), à la Reithalle (Offenbourg), du 5 au 19 novembre
jazzdor.com 

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