Artiste associé à La Comédie de Reims, Thomas Quillardet y crée Une Télévision française. Il y revient sur la période de privatisation de TF1 et la constitution d’un nouvel écosystème médiatico-politique de fabrique de l’info.
«La télévision appelle à la dramatisation, au double sens : elle met en scène, en image, un évènenement et elle en exagère l’importance, la gravité et le caractère tragique. » Elle a « une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. » Ces mots de Pierre Bourdieu, écrits au milieu des années 1990 conservent toute leur force trois décennies plus tard à l’heure de la bollorisation des médias. CNews et consorts n’ont rien à envier à la toute puissante TF1 de la fin des années 1980. Les moins de trente ans ne peuvent s’en souvenir mais la privatisation de cette chaîne, en 1987, alors sous la coupe du gouvernement Chirac, a été validée en pleine cohabitation par Mitterrand, guerre d’influence quelques mois avant leur duel pour la présidentielle. Entre salle de rédaction et plateau du JT de 20h, Thomas Quillardet réunit un groupe de journalistes trentenaires, ballotés par l’époque et propulsés dans une course à l’audimat entraînant un nouveau journalisme : plus spectaculaire, plus rapide, plus romancé, façon storytelling. Ils avaient cru, un temps, que Tonton ne laisserait pas faire ça, rejoignant la longue liste des déçus du pouvoir socialiste.
Une nouvelle ère médiatique
Ainsi, suite à de longues recherches et collectes de témoignages, le metteur en scène compose lui-même le texte de cette pièce. Il s’attache à détricoter les rouages de l’usine à souvenirs mise en place, à partir de cet instant, par l’industriel du BTP Francis Bouygues, dont le fils Martin règnera en milliardaire sur un empire des communications, des médias et de la construction jusqu’à aujourd’hui. Une Télévision française, c’est l’histoire de l’édification d’un soft power de masse made in TF1, qui privilégie les forts, intensifie les lignes de fractures sociales et met en récit des visions stigmatisantes des marges (banlieues…). Le brouillage des lignes idéologiques séparant la gauche de la droite s’y multiplie alors. Une nouvelle génération de stars cathodiques s’installe dans une collusion à peine voilée avec le politique, d’Anne Sinclair à PPDA.
Mêler passé et présent
Thomas Quillardet prend un malin plaisir à mêler des choses qui ont réellement existé comme à les déformer, les exagérer et les flouter, se souciant peu de la vérité, préférant chercher « un protocole qui laisse éclater le sensible en tentant de faire revivre l’instant. » Ce remixage d’une époque et de la mémoire qu’on en conserve est une manière de « danser avec la réalité. Cette période entre 1987 et 1992 a ses personnages, ses codes. Elle révèle une manière d’être et de penser le monde. En ritualisant des souvenirs personnels ou ceux d’un pays, en jouant avec, en les exposant, nous souhaitons truffer notre récit de fantastique. Ils seraient de l’ordre de l’expérimentation et du performatif. »
À La Comédie de Reims, du 2 au 9 octobre
lacomediedereims.fr