« Pour qu’il y ait sens, il faut qu’il y ait son », disait Jean-Luc Nancy. Le son de sa voix était au cœur de la relation intime qui le liait à Rodolphe Burger.
Avec la disparition récente de Jean-Luc Nancy, on a mesuré un peu plus encore le lien si fort qui attachait le philosophe à Rodolphe Burger. Ce dernier s’était fendu d’un commentaire très touchant à l’adresse de l’« ami d’amour » et l’« amour d’ami » qu’il perdait. Une voix s’éteignait. Une voix qu’il a si souvent entendue se mêler à celle de Philippe Lacoue-Labarthe, au point de n’en faire qu’une. Cette « voix de la philosophie » qui a résonné, ensemble ou séparément. « Une voix, nous explique le musicien, dit beaucoup de choses sur une personne et sa pensée. Celle de Jean-Luc, c’était un ton, un timbre, un tempo. » Son propos résonne d’autant plus en nous qu’on se souvient de cette correspondance entre les deux philosophes, Scène chez Christian Bourgois, au cours de laquelle Jean-Luc rappelait ceci à Philippe : « Comme tu le sais, c’est du côté du comédien, sur la scène, que j’aurais voulu être. » Au TNS, sur scène, il y a été souvent, mais en tant que figurant. Une entrée, une sortie, et c’était à peu près tout. Ce qui ne l’empêchait pas de prendre des notes dans l’ombre. « Tout l’intéressait, ça le passionnait ! Il exprimait plus qu’un intérêt, un goût véritable », se souvient Burger. Sans doute a-t-il perçu cette appétence singulière, cette « vocation », chez son ami, si bien qu’il l’a conduit sur scène avec beaucoup de naturel et lui a confié de beaux rôles.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Rodolphe Burger a sollicité la voix de Jean-Luc, mais aussi ses “talents” de musicien en lui confiant une sanza, ce piano à pouce si répandu en Afrique, lors d’une performance à Montréal en 2005 à la Galerie UQÀM : « Jean-Luc était motivé, il voulait répéter comme avec une vraie formation. » Sous la forme d’un trio, ils se sont produits avec François Martin : « C’était le groupe d’un soir, les White Bears ! », nous confie le chanteur, non sans une pointe d’amusement. Cette première occasion en a appelé d’autres, notamment lors d’une carte blanche à Ermenonville, où Jean- Luc a été invité par Rodolphe à une promenade rousseauiste, au cours de laquelle il arborait un magnifique costume du XVIIIe monochrome. « Jean-Luc était enchanté de participer à la prise de mesure et aux essayages. Il était heureux comme un enfant : il se baladait, déguisé, et improvisait à la manière de Rousseau. Il “rousseauisait” ! » Entre-temps, des petits films tournés à la Ferme à Sainte-Marie-aux-Mines autour de la figure de Lenz lui ont permis à nouveau de faire l’acteur, toujours avec le même bonheur. « C’était absolument délicieux ! », relate Rodolphe Burger avec émotion. De tout le matériau sonore dont il dispose, il résultera des publications à venir, un disque sans doute. La voix de Jean-Luc Nancy nous sera donnée à entendre. Indéfiniment.