Lost in the Supermarket
Charlotte Lagrange, jeune metteuse en scène issue de l’École du Théâtre national de Strasbourg, assiste Laurent Vacher dans sa prochaine création, Lost in the supermarket. Elle nous livre son carnet de bord de création, issu des deux premières semaines de répétitions.
Neuf femmes, neuf caisses, un casse. Vaste programme pour cette comédie aussi sociale que musicale écrite par Philippe Malone et dirigée par Laurent Vacher qui y ajoute cette petite subtilité : « Nos neuf comédiennes feront, elles, le casse de la représentation ». Vaste programme donc, pour ces cinq semaines de répétitions qui commencent aujourd’hui, lundi 17 décembre 2012. Si le chorégraphe Farid Berki ouvre la danse aujourd’hui, il est aussi le dernier à rencontrer les comédiennes du spectacle. D’une oreille, il les écoute chanter ; de l’autre, il écoute l’histoire de Lost in the supermarket racontée par Laurent. D’un œil, il regarde les comédiennes se préparer ; de l’autre, il visualise quelques phrases chorégraphiques. Et les premiers mouvements surgissent. Des gestes issus du quotidien qui, précisés, rythmés et décontextualisés, deviennent tics de la banalité et racontent l’aliénation des corps. Certains mouvements chorégraphiques s’élaborent et se greffent intuitivement à certains morceaux. Nous sommes le mardi 18 décembre et déjà plusieurs fragments dansés viennent nourrir notre immense puzzle.
Franco Mannara, guitariste et compositeur des musiques de Lost in the supermarket rejoint le lointain jardin du plateau, mercredi 19 décembre. Il est escorté du batteur Christophe Dumas et de Mia Delmaë, pianiste et comédienne, qui sera aussi bien musicienne que caissière. Il faut faire tourner les morceaux, mettre en place les voix, corriger les balances vocales et instrumentales et surtout intégrer les chansons à la partie textuelle en travaillant les transitions avec la parole. L’accompagnement musical de ce morceau-ci, en parlé-chanté, commencera pendant la scène. Ce morceau-là, plus mélodique, sera lancé a capella. Cet autre devra commencer brutalement. Tous les morceaux sont passés en revue. C’est précis, c’est technique, mais c’est aussi une première plongée dans les scènes et leurs situations. Une première approche de l’interprétation qui nous amène déjà au samedi 22 décembre. En présence de l’auteur, nous faisons une lecture totale de Lost in the supermarket mêlant pour la première fois texte et chansons. Les comédiennes tentent de trouver le rythme propre à cette langue répartie en dialogues très concis et rapides, en monologues plus diserts et imagés. Laurent Vacher nous raconte la mise en scène à venir. Entre danse, chant et texte, nous devons trouver le mouvement global qui amène au casse, un mouvement qui va de l’aliénation à la libération, de la douleur à la jubilation. En élaborant ensemble ce projet, Laurent et Philippe ont voulu raconter, voire interpeller, le plaisir de la désobéissance. Une lame de fond qu’il ne faudra pas oublier. Alors que les caissières de Lost décident de faire leur casse le 24 décembre, nous rentrons sagement dans nos familles respectives pour fêter Noël avec la promesse d’une révolte jubilatoire à jouer ensemble.
Retour en répétitions avec une nouvelle étape dans le processus de création. Mercredi 26 décembre, les régisseurs s’affairent sur le plateau de l’Apostrophe, à Cergy-Pontoise. Ils montent les premiers éléments du décor à peine construit et installent la technique nécessaire à l’élaboration du son, de la lumière et de la vidéo. En attendant de prendre le plateau d’assaut, les comédiennes, Laurent et moi étudions notre plan. La structure du texte peut sembler complexe à première vue. D’abord parce que sa typographie indique davantage la rythmique globale de la parole que la distribution en divers personnages. Mais aussi parce que la fiction mise en place par les premières scènes subit plusieurs renversements de situation qui interrogent à la fois sur les niveaux de réalités et les registres de jeu. La pièce est sensée s’ouvrir sur l’interrogatoire des caissières après une effraction survenue dans leur supermarché. Or, cet interrogatoire n’est en fait qu’une mise en scène des caissières destiné à les préparer au casse à venir. Dans cette double-fiction – qui demande aux comédiennes d’être toujours dans un « jeu dans le jeu » – vient se greffer un flashback où l’on voit ces mêmes caissières décider de faire un casse. Mais ce flashback pourrait lui aussi n’être qu’une autre mise en scène de ces femmes. Cette mise en abyme peut sembler vertigineuse mais elle nous offre la possibilité d’être dans un jeu constant, ludique et, là encore, jubilatoire avec le spectateur. Cela implique un travail par couches successives pour les comédiennes qui doivent jouer plusieurs niveaux de fiction à la fois. C’est ce que nous expérimentons dès le lendemain sur le plateau en traversant les premières scènes.
Lorsque Farid Berki revient, vendredi 28 décembre, il travaille à l’intérieur de cette première esquisse de mise en scène. Cette fois-ci, les corps sont sculptés non seulement dans les chansons mais aussi dans les passages de texte. Les fils de la danse, du chant, de la musique et du texte se tissent les uns aux autres délicatement. Samedi 29 décembre, nous terminons l’année et cette courte semaine par un bout à bout des premières scènes. To be continued sera le mot de cette fin provisoire qui n’est encore que le début d’une vaste épopée.
1er janvier 2013 : sur le Net, les journaux titrent « L’incroyable casse d’un Apple Store à Paris ». L’écho de notre fiction théâtrale dans la réalité immédiate me rappelle ce qui est devenu une évidence au fil du projet, mais qui est central pour comprendre le déroulement même de notre fable. Les caissières de Lost ne font pas un casse pour s’enrichir. Au contraire, leur casse est une manière de refuser le consumérisme représenté par le supermarché. D’un même mouvement, elles se libèrent de l’aliénation du travail. Révolte et libération, un vaste programme pour cette comédie sociale et musicale…
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