Derniers éclats
À défaut de pouvoir organiser comme il se devait la 31e édition de Théâtre en Mai, le Centre dramatique national de Dijon décale son festival vers l’été avec Théâtre enfin !
Engagées. Les productions accueillies au Théâtre Dijon Bourgogne empoignent avec vigueur le sombre magma de l’époque, dans un écho aux noirceurs de l’époque. Actualité oblige, c’est avec les portraits sensibles de La Situation, signés Bernard Bloch (03-05/06) que nous débutons. Né à Mulhouse, le metteur en scène, qui avait donné la parole à des rescapés de la Shoah (De Lehaïm – à la vie !) ou dépeint la vie en RDA dans les fifties en montant Heiner Müller, fait entendre, avec huit autres comédiens, l’amour de ses habitants pour Jérusalem. Juif ultra-orthodoxe persuadé de l’arrivée de l’apocalypse, étudiante palestinienne, sioniste intégriste… La mosaïque de points de vue découle de deux mois d’immersion dans la ville sainte en 2016, au cours desquels il questionne obstinément une soixantaine de personnes : « Y a-t-il dans votre vie un moment, même furtif, cinq minutes, un mois ou deux ans, où vous avez pensé qu’une vie paisible pourrait advenir entre tous les habitants d’Israël et de Palestine ? » Une manière de tisser un pont au-dessus des murs qui nous séparent. Autre déconstruction, celle orchestrée avec brio par la bien nommée compagnie Légendes Urbaines, fondée en 2011, par Zoumana Méïté et David Farjon. Elle entre au cœur de la fabrique de l’image, dans la rédaction d’un journal télévisé, déflorant le chemin plein de raccourcis de la production et de la mise en scène de l’information. En ligne de mire la mécanique ayant été à l’origine d’un mythe vivace autour des banlieues françaises. Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois (03-05/06) nous mène à l’été 1981, aux Minguettes, cités HLM de la couronne lyonnaise. Les journalistes s’emparent de petits délits et d’affrontements, multiplient reportages et punchlines politiques pour faire monter une sauce au goût amer. Les quartiers deviennent des repaires à fantasmes, entre chômage et violence endémiques, bassement associées à l’immigration. Entre jeu sur le plateau et images d’archives, l’équipe filme, monte et diffuse le tout, reproduisant le cercle sans fin d’un piège médiatique cadenassant les représentations. Autre proposition alléchante, la plongée dans les enjeux de la décolonisation proposée par Margaux Eskenazi et Alice Carré. Et le cœur fume encore (18-20/06) traverse de la Guerre d’Algérie et sa mémoire trouée de silences grâce à des documents, archives et extraits littéraires (Édouard Glissant, Kateb Yacine…) en plusieurs lignes narratives retraçant le parcours de pieds-noirs, harkis, membres du FLN, travailleurs algériens ou soldats. Se dessine un des visages de la nation française dans laquelle chacun a grandi, fait d’exils, de métissages, d’imaginaires et de violences tues.
Au Théâtre Dijon Bourgogne, jusqu’au 2 juillet
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